À l’occasion de « Mons, Capitale européenne de la culture », le MAC’s du Grand-Hornu offre l’intégralité de ses cimaises et sa première grande rétrospective en Belgique à l’artiste français.
HORNU - On le sait, l’univers de Christian Boltanski ne laisse pas indifférent. On le sent encore plus quand on pénètre dans l’exposition du MAC’s au Grand-Hornu, non loin de Mons en Belgique. Est-ce à cause de l’atmosphère de cet ancien site minier, habité par la mémoire des travailleurs absents, qui entre en dialogue avec les pièces installées par l’artiste, ou en raison des effets dramatiques induits par le parcours lui-même ? Quoi qu’il en soit, la scénographie s’adapte intelligemment à l’architecture du lieu et conduit le visiteur à travers différentes stations qui traitent du temps, de la mémoire, de l’oubli, de la disparition…, quelques lieux communs d’une banalité terrifiante, banalité que d’autres appellent la vie.
Dès la première salle, une ampoule s’allume et s’éteint au rythme de battements cardiaques dont le son envahit l’espace. Ce rapport entre les sonorités inquiétantes et la lumière se prolonge tout au long de la descente par un couloir étroit. Au mur, des compteurs rouges égrènent les secondes qui défilent inexorablement, indifférentes à la temporalité qui dirige le destin humain.
Imagerie anonyme
Mais ce n’est qu’arrivé en bas que le spectateur découvre la complexité du dispositif réalisé par Boltanski. Non pas que les éléments employés par l’artiste soient nouveaux. Comme toujours celui-ci récupère, réinvestit et redistribue le matériel ancien : un stock d’objets empruntés, des objets « génériques » qui pourraient appartenir à tous et à chacun. Chaque exposition est une reprise, un recyclage ; on y retrouve systématiquement des photographies de visages anonymes et des vêtements usés.
Boltanski parasite ainsi une imagerie qui réactive l’inconscient collectif, fait jouer subtilement ironie et nostalgie, touche directement aux sentiments les plus intimes et les plus universels.
Les photographies d’abord. Trouvées ou empruntées, le plus souvent auprès d’amateurs, en noir et blanc, elles sont tramées, parfois agrandies jusqu’à en devenir floues. Usées, délavées, ces clichés de la « deuxième génération » semblent s’effacer lentement. Présentés dans une semi-obscurité, encadrés et éclairés par de petites lumières, les visages baignent dans un climat mélancolique et funèbre à la fois, formant des « iconostases » laïques et ténébreuses. Toutefois, les sources de lumière sont parfaitement visibles, comme si l’artiste voulait accentuer leur aspect matériel et fabriqué. Le léger halo qui encadre les visages laisse une part importante aux ténèbres qui les dématérialisent. Leur aura devient l’ombre de l’aura, une aura de seconde main qui n’offre aucune certitude glorieuse. La répétition, la presque sérialité qui caractérise les œuvres de Boltanski contribue, en dépit de la présentation « ritualisée », à déjouer leur sacralisation et à laisser planer un doute sur leur aspect commémoratif. Ces documents se transforment en preuves faussement indiscutables d’un univers véritablement fictif.
Danse macabre
Puis, avec la « Salle des pendus », arrivent les vêtements. Une centaine de vestes et de manteaux sombres (uniformes de mineur ?) qui en font aussitôt des silhouettes humaines. Accrochées à des cintres suspendus à des hauteurs variables, actionnées électriquement, elles tournent lentement comme dans une danse macabre. On ne peut s’empêcher de songer à la Classe morte de Kantor, tant les tissus condensent et pétrifient la vie, en la rendant parfois plus présente qu’elle n’a jamais été.
Les dépouilles ou les reliques vestimentaires sont une trace, la présence explicite d’une absence. Comme le dit l’artiste : ils sont à la fois l’objet et le souvenir de l’objet. Toutefois, sans l’énergie que lui communique l’homme, ils deviennent une simple matière, mais une matière qui reste anthropomorphique. Ici, les vêtements qui débordent de deux caisses métalliques transparentes ont tout de gisants qui auraient perdu leur raideur.
Mais surtout, la force de l’œuvre vient du dépassement de l’intime. Ces vêtements qui appartiennent à un groupe, à une foule, deviennent une représentation collective. Un tas que Boltanski transforme en une montagne ou plutôt, vu le contexte, en un terril noir, monumental et menaçant. Les milliers de vieux habits dont chacun symbolise un corps disparu forment un « paysage de souvenirs » ou un cimetière à ciel ouvert. Là où les visages désincarnés de l’artiste s’enferment dans un silence retenu, les habits sont dans le débordement, dans la démesure, dans l’affirmation de leur matérialité. Le désordre de ces vêtements, leur souplesse qui garde les formes du corps disparu, rend leur puissance insoutenable.
Commissaire : Laurent Busine
Œuvres : 60
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Boltanski au pays des mines
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 16 août, MACS’s Grand-Hornu, 82, rue Sainte-Louise, Grand-Hornu, Belgique
tél. 32 65 65 21 21
www.grand-hornu.eu
tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 8 €.
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Consulter la biographie de Christian Boltanski
Légende Photo :
Christian Boltanski, Les Registres du Grand-Hornu © Photo Mirjam Devriendt
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Boltanski au pays des mines