En dépit de quelques travers, l’étape amsterdamoise de l’exposition offre un aperçu bouleversant de la dernière période du peintre qui excelle dans la sensibilité de sa technique et l’expression de son naturalisme.
AMSTERDAM - La lectrice de Rembrandt, venue d’un château en Écosse, dont le visage est éclairé par l’illumination rayonnant du livre dans lequel elle est plongée, son peintre hilare, sa série d’apôtres : à aucun prix, il ne faut manquer l’exposition sur la dernière période du maître dans sa ville d’Amsterdam. Un tel rassemblement d’œuvres ne se reproduira pas dans le temps d’une vie.
La rétrospective, la première jamais tentée sur le sujet, vient de la National Gallery de Londres, où elle était source de déception. Au Rijksmuseum, l’ajout de quatre peintures exceptionnelles, la sortie de tableaux de résidences privées et la forte présence de la gravure que Rembrandt a portée à un sommet en font un événement. Le parcours gagne en espace. La foule des premiers jours a été limitée, si bien qu’il est loisible de contempler de près les cinquante estampes et dessins, accompagnés d’explications remarquables du conservateur Erik Hinterding.
L’exposition a conservé des traces malheureuses de l’étape londonienne. Le découpage est brouillon. Le Rijksmuseum en a repris les concepts fumeux (« introspection », « conflit intérieur », « réconciliation », « contemplation »), le conservateur maison Jonathan Bikker ayant cherché, selon ses mots, à « éviter l’ennui d’une démarche classique, par chronologie ou par genres ». Il a été un peu forcé d’intégrer une faible Lucrèce de Washington, qui semble au bord de s’évanouir. Les organisateurs ont bien évité de la rapprocher d’une autre Lucrèce, qui est une magistrale leçon de vivacité (1).
D’autres parallèles auraient pu être tentés, comme celui de l’artiste en saint Paul avec les autres tableaux d’apôtre.
Cartels lacunaires
L’information manque sur l’histoire matérielle des œuvres, les visiteurs ne pouvant se rendre compte des accidents qui les ont déformées à travers les siècles : découpages, incendies, opérations malheureuses… Le cheval du portrait équestre fait peine. Le portrait des époux Trip est une ruine, qui n’a pas sa place dans une exposition de ce niveau. La grande nocturne de La conspiration des Bataves ou même l’autopsie du cerveau se comprennent difficilement hors le décor monumental dans lequel elles étaient censées s’insérer. Mais ces travers sont vite oubliés dans un rassemblement aussi admirable.
Rembrandt (1606-1669) a traversé une crise artistique en 1642, année de l’achèvement de la compagnie des mousquetaires, improprement appelée La Ronde de nuit. À l’occasion de cette exposition, la chronique insiste sur sa vie mouvementée, de sa faillite – parce qu’il vivait et collectionnait largement au-dessus de ses moyens – à la perte de sa femme et leurs quatre enfants. Il vit une liaison orageuse avec une nounou. Son grand amour se noue avec une employée de maison, de vingt ans sa cadette, qui sera emportée par la peste. Elle lui sert de modèle, si bien que sa présence flotte dans l’exposition, tout comme Titus, le seul enfant appelé à lui survivre.
Faire de Rembrandt un créateur isolé et torturé, qui se consacre à l’autoportrait pour conjurer ses démons, est cependant à l’opposé des faits et de la compréhension de son œuvre. Il fait toujours payer ses tableaux une fortune, entretient un atelier et une école, fait patienter les commanditaires, ne sollicite guère la protection des puissants. Croyant tolérant, il reste à l’écart des congrégations religieuses. Pour des raisons pratiques, il maintient sa liaison hors mariage, ce qui fait scandale dans la cité…
Un naturalisme très moderne
Cette liberté se retrouve chez un peintre dont la prouesse technique est mise au service d’une pensée sur son art. Il change constamment de sujet, s’imposant chaque fois une nouvelle recherche. Ses versions de Saint Barthélemy, dont celle de San Diego, qui à elle seule mérite le déplacement, sont d’une allure étonnamment « moderne ». Il emprunte à un courant de pensée qui valorise une peinture rugueuse pour rendre les accents de la vérité. Pour la Lucrèce de Milwaukee et Isaac et Rebecca, il use d’un couteau plat pour sculpter les broderies dans les épaisseurs de la matière. Sa touche se fait plus libre dans les portraits d’amis. Il gratte la surface de celui du bon vivant Pieter de la Tombe. Pour celui de Jan Six, il trace la boutonnière au doigt. Le contraste entre l’étude du visage, à demi dans la pénombre, et la rapidité d’exécution des mains, gants et mouchoir, est saisissant. Dans ses autoportraits, il cherche à rendre les minuscules accidents de la vieilles et même les pores. C’est dans cette liberté qu’il atteint à un sommet du naturalisme.
(1) Le musée doit consacrer en mai une journée d’étude à ces deux compositions désassorties.
Commissaire : Jonathan Bikker
Nombre d’œuvres : 38 peintures, 30 estampes, 20 dessins
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Rembrandt, la quête ultime
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 17 mai, Rijksmuseum, Museumstraat 1, Amsterdam, Pays-Bas
Tlj 9h-17 h, entrée 25 € (avec la collection permanente)
www.rijksmuseum.nl
Catalogue Fonds Mercator 50 €
Légende photo
Rembrandt Harmensz. van Rijn, Autoportrait au deux cercles, vers 1665-1669, Kenwood House, Londres. © The Iveagh Bequest, Kenwood House, London.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Rembrandt, la quête ultime