Anne-Marie Duguet : « Chaque édition est le fruit d’un travail partagé avec l’artiste »

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 10 mars 2015 - 819 mots

Dans le prolongement de son travail de critique et d’universitaire axé depuis les années 1980 sur les usages du film, de la vidéo et des technologies numériques par les artistes, Anne-Marie Duguet a lancé la série « Anarchive ».

À l’occasion des 20 ans de ce label d’édition numérique, la galerie mfc-michèle didier à Paris expose un ensemble de projets multimédia qui sont à la fois œuvre et archive de l’œuvre. Anne-Marie Duguet revient sur la genèse et la raison d’être d’« Anarchive ».

Comment cette aventure éditoriale a-t-elle commencé ?
Le besoin de rassembler du matériel documentaire sur les installations pour le travail critique comme pour l’enseignement a été un point de départ, il y a une vingtaine d’années, alors que les artistes n’en avaient pas toujours le soin. La situation est bien différente aujourd’hui, les jeunes artistes, dans tous les domaines, produisant leur archive en même temps que leur œuvre. À l’époque, il m’a paru que les premiers travaux en multimédia étaient bien en deçà de la potentialité des outils. Il y avait alors quelque chose d’autre à produire, en travaillant avec des artistes qui avaient une œuvre, des archives, et certaines méthodes de travail, et en les associant à la conception de support ; ainsi, pour chaque projet « Anarchive », c’est l’artiste qui a conçu l’interface, l’architecture. Ensuite, pour les équipes constituées en fonction de chaque projet, a lieu l’énorme travail de l’archive proprement dit, aussi rigoureux que possible et avec l’exhaustivité comme horizon.

Chacune des cinq éditions, mais aussi celles qui n’ont pas ou pas encore abouti, est le fruit de l’échange entre l’artiste, ses idées (par exemple l’image d’une table tirée d’un de ses films qui permet d’entrer dans le DVD de Michael Snow), et le travail de graphisme, de développement technique et de programmation, comme de nos expériences. Antoni Muntadas avait eu recours dès 1994 à Internet, pour la base de données contre la censure qui est toujours active en ligne (thefileroom.org) ; il savait travailler avec une équipe et la logique technologique. Thierry Kuntzel a eu en revanche un rapport plus distancié à la technologie. Chaque édition est le fruit d’un travail collectif, où le rôle d’auteur est partagé, même s’il me revient de signer le bon à tirer.

Chaque réalisation est aussi un processus long…
Quatre ans pour Muntadas, et même six pour le dernier sorti, le cinquième, avec Fujiko Nakaya. Le montage économique de chaque projet demande du temps, mais, grâce à des partenariats avec des institutions, on y parvient, d’autant que les budgets ne sont pas énormes. Chaque projet est différent, que ce soit sur le plan de l’équipe, du format, du contenu. L’évolution des techniques aussi nous amène à passer du CD au DVD, et le livre qui est associé est aussi réinventé dans sa forme. Cette remise en question permanente découle de l’usage des technologies, des déplacements qu’elles permettent. Venant de l’histoire et de la théorie du théâtre, puis de la vidéo, j’ai vu comment l’usage des technologies permettait de relier des domaines différents. Aujourd’hui, le numérique et la vidéo se recoupent souvent. Mais le monde universitaire, lui, cloisonnait beaucoup. C’est à peine si je n’osais dire, il y a vingt ans, que je voyais des images de nature passionnante à Imagina, le forum consacré à ce que l’on appelait les « nouvelles images ». Je crois que l’on n’a pas encore mesuré les remises en cause de la représentation, de l’espace et de nos perceptions visuelles que mène Masaki Fujihata dans les années 1980-1990, par son travail avec le temps. Faire le prochain « Anarchive » avec lui, c’est ouvrir à ces enjeux essentiels. En même temps, le travail critique n’est pas facile à asseoir : quelle relation à l’art y a-t-il dans le travail de Jeffrey Shaw ? Est-ce un artiste ? C’est en tout cas un inventeur de système, dont l’histoire de l’art ne sait pas trop quoi faire. Pour avancer, c’était important de me rapprocher de l’aspect production, avec « Anarchive » comme avec certaines expositions que j’ai pu faire. L’expérience des œuvres est le point de départ. C’est aussi le sens de l’exposition à la galerie Michèle Didier.

Le numérique ouvre des territoires nouveaux, mais il est fragilisé par le renouvellement des supports, des techniques.
« Anarchive » est pris dans cette course à l’obsolescence. Le colloque organisé au Centre Pompidou interroge cette question de la mise à jour. C’est bien sûr une préoccupation quand on travaille sur l’archive. C’est aussi une préoccupation majeure pour les artistes. Mais il y a pourtant encore de nombreux projets en cours, avec Takis, Gary Hill, Norman White et ses robots… En même temps, ce constat : si le virtuel permet de stocker de plus en plus, si l’actualisation est une exigence de départ des projets, y compris pour les artistes, le livre imprimé demeure dans les projets d’« Anarchive ». Décidément, les temporalités de l’art se transforment…

Anarchive, Affinités/Diversités

Jusqu’au 11 avril, exposition, galerie mfc-michèle didier, 66, rue Notre-Dame de Nazareth, 75003 Paris
tél. 01 71 97 49 13
www.micheledidier.com
du mardi au samedi 12h-19h.
Colloque « Mettre à jour encore et encore », le 13 mars 17h-21h, Centre Pompidou, Cinéma 2.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Anne-Marie Duguet : « Chaque édition est le fruit d’un travail partagé avec l’artiste »

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