À la Maison rouge, Mathieu Briand donne forme à une rêverie utopique inspirée de la piraterie libertaire et de ses récits.
PARIS - Explorer d’autres territoires de l’art, d’autres pratiques et manières de le penser et le montrer. C’est en substance ce à quoi invite le projet fou de Mathieu Briand dont se fait l’écho la Maison rouge, à Paris. Car s’il y a bien quelques œuvres à voir dans les salles, l’entreprise relève également du témoignage d’une expérience unique.
À la suite de ses pérégrinations en forme d’interrogation, en particulier des « zones d’autonomies temporaires » (« Temporary Anonymous Zone », ou TAZ, théorisée par l’écrivain américain Hakim Bey) et du nomadisme lié à la technoculture, Mathieu Briand a trouvé sur une petite île au large de Madagascar un terrain où il a pu laisser libre cours au développement d’une utopie. Celle-ci est inspirée par l’expérience des pirates libertaires, relatée dans Une histoire générale des plus fameux pyrates (1724), possiblement attribuée à Daniel Defoe, et dans laquelle une colonie avait pris le nom de « Libertalia ».
Sur ce territoire habité par une famille, l’artiste a depuis 2008 effectué de fréquents séjours au cours desquels, tout en recueillant le témoignage des locaux quant au caractère sacré des lieux, il a invité des artistes, une quinzaine, à intervenir ; ces derniers, quand ils ne se sont pas rendus directement sur place, lui ont communiqué des instructions en vue de la réalisation d’une œuvre. Mike Nelson a édifié des totems à l’aide de rebuts, Damían Ortega a numéroté les feuilles d’un arbre et Pierre Huyghe a proposé de tracer sur un endroit du terrain sa célèbre bifurcation Or, qui ne mènera nulle part. Koo Jeong-A, Gabriel Kuri, les Frères Chapuisat, Juan Pablo Macías, Yvan Salomone et Gilles Mahé ont été de la partie, de même que l’architecte Rudy Ricciotti.
L’artiste s’est-il alors mué en curateur intervenant dans un autre contexte ? Nullement, et c’est bien là que l’entreprise devient intéressante. Mathieu Briand s’est bien plutôt attelé, en joignant la perception des lieux par les artistes à la sienne, à tenter une compréhension du territoire à travers l’exploration de ses contours et ses limites, géographiques mais aussi mentales. Une salle de l’exposition est d’ailleurs consacrée à des documents cartographiques de formes diverses : un relevé des implantations artistiques, une carte ancienne façon île au trésor investie par des pirates. Également dans ce cadre, une curieuse machine dessine chaque jour sur du papier millimétré de denses réseaux de lignes qui recomposent en creux les contours de l’île noyés peu à peu dans une abstraction.
« Expérience du sacré »
La salle adjacente évoque elle la pratique et l’atelier, première entreprise de Mathieu Briand qui, arrivé sur l’île, se construisit une cabane afin de pouvoir travailler. Un paillasson de Francis Alÿs invitant au silence accueille le visiteur, une bibliothèque de Thomas Hirschhorn est fixée au mur, mais surtout deux grands écrans verticaux, telles des immenses fenêtres, permettent de pénétrer sur le terrain : s’y enchaînent des vues du paysage et des réalisations des artistes, en substitut à une impossible reconstitution.
Mais le plus étrange réside dans une grande salle où d’emblée le regard est happé par deux grands tableaux figurant, pour l’un un enfant flottant au-dessus d’un paysage marin, pour l’autre un zébu dont le corps se fait humain, un peu à la façon d’un Minotaure ; une peinture très narrative, aux accents surréalistes et symboliques. Un arbre sacré auprès duquel fut effectué le rituel du sacrifice d’un zébu, nécessaire avant de pouvoir investir les lieux, a aussi pris place ici. De même, une pirogue évoque là le fantasme d’une piraterie qui, sous l’influence de ce contexte et de ses rites, aurait connu une modification de ses objets si ce n’est de ses formes. C’est que la rêverie utopique de Mathieu Briand s’est pleinement emparée du territoire, jusqu’aux croyances et rituels qui le gouvernent : « Je ne voyais plus rien de magique dans l’art contemporain, et cette expérience du sacré nous permet d’accepter de passer vers d’autres mécanismes de pensée », relate ainsi l’artiste.
Le projet est servi par la publication d’un livre d’artiste qui, véritable journal de bord, relate l’aventure et permet de poursuivre la découverte… et la rêverie.
Commissaire : Paula Aisemberg
Nombre d’œuvres : 19
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La possibilité d’une île
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La Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris
tél. 01 40 01 08 81
www.lamaisonrouge.org
tlj sauf lundi-mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h, entrée 9 €. Livre d’artiste, éd. La Maison rouge, 288 p., 30 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : La possibilité d’une île