Le LaM, à Villeneuve-d’Ascq, consacre une rétrospective à Aloïse Corbaz, figure emblématique de l’art brut célébrée pour ses œuvres colorées et luxuriantes.
VILLENEUVE-D’ASCQ - C’est « la Sixtine de l’art brut » et le sommet de l’œuvre d’Aloïse (1886-1964). La pièce, longue de 14 mètres et composée de dix lès de papier assemblés par des points de couture, trône au cœur de la rétrospective du LaM, Lille-Métropole. Toute l’exposition s’organise autour d’elle. Aloïse a 65 ans quand elle dessine, en 1951, à la craie grasse et aux crayons de couleurs cette épopée d’amour lyrique qu’est le Cloisonné de théâtre.
« Je copie ce que j’entends », soulignait-elle à qui voulait l’entendre. Pour Jacqueline Porret-Forel, sa confidente qui fut aussi l’auteure d’une thèse de médecine (« Aloyse ou la peinture magique d’une schizophrène »), celle-ci fut « gratifiée de visions mystiques non psychotiques ». Hospitalisée en 1918 à l’âge de 32 ans, elle restera enfermée jusqu’à la fin de sa vie dans un établissement psychiatrique situé à Gimel près de Lausanne (Suisse).
Chevelure pourpre ondoyante
À l’asile de La Rosière, pour se réconcilier avec la vie, Aloïse dessine et met en scène des portraits hiératiques de couples princiers aux côtés de danseurs virevoltants. Elle est fascinée par le faste et l’apparat de la cour impériale, par ses costumes et ses fêtes dont elle s’est imprégnée à Potsdam, où elle vécut au début du siècle dans la famille du chapelain de Guillaume II au château de Sans-Souci.
Ses compositions foisonnent de références à la musique et à l’opéra – sa grande passion –, mais aussi de personnages historiques tels que Napoléon, et Guillaume II, dont elle s’était secrètement éprise lors de son séjour en Allemagne. Mais la figure centrale de son œuvre est la femme. La femme dotée d’une ample chevelure pourpre ou blonde ondoyante encadrant de grands yeux bleus et fixes. Celle-ci est souvent entourée de fleurs – roses, rose de lotus, camélias, lys et passiflores – qui témoignent de la flamme de l’artiste, mais aussi d’oiseaux multicolores, casoars et autres volatiles tropicaux. Le rouge, symbole d’amour et de puissance, domine ses compositions, suivi par le jaune, signe de perfection, et le vert, de vie spirituelle.
« Bourrage, répétition, agglutination et absence de perspective » sont, selon le psychiatre Alfred Bader, les critères dominants des dessins exécutés par des schizophrènes, fournissant ainsi une clef de lecture de son œuvre.
L’exposition organisée par le LaM réunit 150 dessins, carnets et écrits d’Aloïse traduisant ce besoin impérieux de créer. Ceux-ci proviennent principalement du LaM, de la Collection de l’art brut et du Musée cantonal des beaux-arts à Lausanne, ainsi que du Kunstmuseum Solothurn, à Soleure (Suisse).
La rétrospective, construite de façon chronologique et thématique autour des trois actes du Cloisonné de théâtre, s’ouvre sur les premières œuvres d’Aloïse réalisées au crayon ou à l’encre sur des papiers récupérés de petit format. À partir de 1924, les compositions exécutées à l’aide de crayons de couleurs figurent des personnages en suspension dans le vide, un peu à la manière de Chagall. Salle après salle, ses œuvres sont confrontées, en constellation – sous-titre de l’exposition – à celles d’autres artistes de l’art brut (Michel Nedjar, Adolf Wölfli) comme à celles de grandes figures de l’art moderne (Léger, Picasso, André Masson) ou contemporain (Étienne-Martin).
Scènes hiéroglyphiques
Ses compositions oniriques complexes jouent sur la combinaison des perceptions sensorielles, sur la charge émotionnelle de couleurs stridentes et sur la dimension rythmique à forte connotation musicale des œuvres. Sa technique (elle enrichit sa palette en frottant le papier à l’aide de pétales ou de feuilles de géranium) ainsi que ses principes et procédés de construction, qui incluent des scènes hiéroglyphiques précisant un caractère, sont singuliers. « L’espace n’est pas physique mais onirique, explique Pascale Marini-Jeanneret, conservatrice à la Collection de l’art brut à Lausanne. Ses scènes sont frontales et contiennent peu d’effet de profondeur. Par ailleurs, elle établit une hiérarchie de ses personnages dans laquelle ses héros sont grands et imposants. » Une forme d’hypertexte relie entre eux les éléments des compositions, comme en témoigne le Cloisonné de théâtre. Véritable allégorie de la vie d’Aloïse, cette œuvre de nature alchimique aurait contribué à une forme de réconciliation et de paix intérieure de l’artiste. « Elle s’était guérie elle-même par le procédé qui consiste à cesser de combattre le mal et à entreprendre tout au contraire de le cultiver, de s’en servir », analysait Jean Dubuffet.
Commissariat : Savine Faupin, conservatrice en chef ; Christophe Boulanger, attaché de conservation en charge de l’art brut ; Gaye-Thaïs Florent, chargé de mission
Nombre de pièces : 250 œuvres et documents
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Les cosmogonies alchimiques d’Aloïse
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 10 mai, LaM Lille-Métropole, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 1, allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq
tél. 03 20 19 68 51
www.musee-lam.fr
tlj sauf lundi et 1er mai 10h-18h, entrée 10 €
Catalogue, 200 p, 30 €.
Légende photo
Aloïse Corbaz, Napoléon portant une reine au corps cerné de perles (verso), 1952-1954, crayon
de couleur sur papier, 59,5 x 42 cm, collection de l’Art Brut, Lausanne. © Association Aloïse. Photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Les cosmogonies alchimiques d’Aloïse