Baroque

Rubens en modèle réduit

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 10 mars 2015 - 786 mots

Passant en revue l’héritage du peintre à travers les siècles, l’exposition de la Royal Academy à Londres n’apporte aucun élément de nouveauté.

LONDRES - Il semblerait que, par leur débordement même, les expositions sur Pierre Paul Rubens (1577-1640) voudraient finir par ressembler à son art. Celle de la Royal Academy de Londres se concentre sur son influence depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Montée au départ par Nico van Hout au Bozar de Bruxelles, l’exposition n’apporte rien de neuf ; tel n’est sans doute pas son objet. Elle parvient néanmoins à plaire à un grand public, tout en lui fournissant un accompagnement didactique sur la carrière à succès du grand peintre.

« Rubens et son héritage » n’en a pas moins recueilli un écho très mitigé de la part des journaux anglais, déçus par le nombre limité de tableaux du maître (une demi-douzaine) et surtout par l’absence des formats monumentaux qui firent sa réputation à travers les cours européennes. Ce sont en effet ces compositions, et leur retranscription par les graveurs, qui ont pu marquer ses contemporains, non les croquis et études conservés dans son atelier. Sont saisissantes cependant chez Rubens les esquisses à l’huile sur bois, d’une vivacité brillante et d’un dessin merveilleux. En revanche, les grandes machineries réalisées sous son autorité sont dans l’ensemble exécutées par des élèves plus ou moins doués, sans ce brio qui le caractérise.

De toute manière, si tant est que leur prêt ait été consenti, la topographie de la Royal Academy ne permet pas d’accrocher des compositions aussi considérables que le retable de Notre-Dame d’Anvers ou la vertigineuse Chute des damnés (1620) de Munich. Aussi leur existence, ainsi que les décors de palais royaux comme Whitehall à Londres et le Luxembourg à Paris, sont-elles évoquées par des copies et des films.

Un art spectaculaire
Avec La Chasse au tigre (vers 1616) venue de Rennes (de plus de 3 m sur 2,50 m, dans lequel on voit vite que Rubens n’a pas peint l’intégralité du tableau), les organisateurs ont juste réussi à faire entrer le format maximum permis par les accès. La scénographie du sujet, dont on comprend qu’elle ait impressionné Delacroix ou Géricault, et avec eux toute la veine orientaliste du XIXe siècle, pourrait fonctionner comme une synthèse de cet art spectaculaire. Rubens touche au paroxysme : rappelons qu’il fut le maître des monarchies absolues. Dès son époque, il fut admiré pour l’étendue de ses talents et contesté pour la superficialité racoleuse prêtée à ses productions.

Il n’est pourtant point un artiste formel, puisant à l’inverse dans une vaste érudition et empruntant à une multiplicité de sources. Dans cette scène de chasse exotique, la fougue de la composition contribue au contraste des sentiments, typique du baroque : on ne sait s’il faut compatir à la tigresse cherchant désespérément à protéger son petit ou au Maure arraché par un tigre de son cheval. Le naturalisme cru des figures s’oppose à une irréalité générale. Aucune position n’est crédible. Sont mêlés lions, tigres et léopards, des animaux qui n’ont aucune chance de se rencontrer dans la nature. Outre des ouvrages de zoologie, pour les fauves comme pour les cavaliers, le peintre prend modèle dans les estampes de Stradanus et de Tempesta aussi bien que dans un bronze de Padoue du XVIe. Il étudie également la tête d’un tigre naturalisée. Mais n’ayant pu voir l’animal, pas plus qu’un léopard, tous ses fauves prennent un corps de lion, auquel il ajoute des taches ou des bandes. Dans un coin, il cite le héros biblique Samson ouvrant la gueule d’un lion. Le cheval cabré, qui apparaît au cœur de ses mêlées peintes dans les années 1610 quand l’artiste est revenu à Anvers, pourrait trouver son inspiration dans La Bataille d’Anghiari (1504-1505) de Vinci, qu’il a vue à Florence quelques années plus tôt.

Mais Rubens peut se prêter à tous les genres, comme en témoignent ici sa Venus Frigida (1614) grelottant de froid, une tête difforme de bouffon ou son Jardin d’amour (1632-1633), très inspiré de Titien. Venue du Prado (Madrid), cette grande composition côtoie ici un bal champêtre de Watteau et un pastiche de Manet. On aurait pu espérer une scène bachique de Jordaens, avec lequel le dialogue est plus avéré. Dans ce découpage aux intitulés parfois tirés par les cheveux (« Poésie », « Élégance »), curieusement, la peinture anglaise n’est pas à son meilleur. L’influence de Rubens sur Constable a déjà été intelligemment commentée au Victoria and Albert Museum (Londres) l’année dernière. Incluant des artistes inattendus, tel Cézanne, ces rapprochements en disent au moins autant des influences que des dissemblances. Sans aller jusqu’à Poussin tout de même.

RUBENS

Commissaires : Nico van Hout (Musées royaux, Anvers) et Arturo Galansino (RA)
Nombre d’œuvres : 146

Rubens et son héritage, de Van Dyck à Cézanne

Jusqu’au 10 avril, Royal Academy
tél. 44 207 73 00 80 00, tlj 10h-18h
le vendredi jusqu’à 22h, et le samedi jusqu’à 20h
www.royalacademy.org.uk
entrée £16,50 (env. 25 €). Catalogue, 352 p., couverture souple £23 (env. 35 €), couverture cartonnée £48 (env. 74 €).

Légende photo
Pierre Paul Rubens, Le Jardin d'amour, vers 1633, huile sur toile, 199 x 286 cm, Musée du Prado, Madrid. © Photo : Madrid, Museo Nacional del Prado.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Rubens en modèle réduit

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