Musée

Rentabilité

Une gestion économique délicate

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 10 mars 2015 - 1018 mots

Alors que les musées municipaux sont confrontés à un problème de comptabilité analytique, les musées privés et établissements publics, mieux équipés, sont plus conditionnés par la recherche de rentabilité économique.

Parler de rentabilité pour une exposition reste encore une gageure, à l’heure où les contractions budgétaires entraînent les institutions publiques dans une marche forcée à l’efficience, soit : faire plus en recevant moins.

La diversité des statuts des musées ne facilite pas la lisibilité économique d’une opération. Dans les établissements publics, qui ont la main sur la totalité de leurs bilans, les dépenses et les recettes peuvent être mises en regard. Il n’en va pas de même pour les musées municipaux gérés en régie directe par exemple, où les recettes de billetterie et de produits dérivés tombent dans les caisses de la Ville, rendant complexe la compréhension d’un exercice financier. Il faut parfois frapper à la porte de trois services différents pour commencer à entrevoir le montant des recettes et des revenus de l’institution… Cette difficulté se ressent fortement à l’occasion du vote du budget en conseil municipal : penser le musée uniquement en termes de coûts et de dépenses, sans pouvoir mettre en balance les recettes, peut desservir les ambitions d’un programme scientifique. Dans un rapport de la commission des Finances du Sénat sur les musées nationaux de 2014, le rapporteur pointe le problème : « La direction du Budget, qui exerce la tutelle financière sur les musées nationaux, a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de connaître le bilan financier des expositions temporaires, ceux-ci se montrant souvent très discrets, voire opaques sur l’équilibre financier de leurs productions. Cet exercice est en effet complexe car il suppose de disposer d’une comptabilité analytique et de pouvoir isoler les recettes issues des différentes activités des établissements. » Établir un compte d’exploitation prévisionnel suppose d’évaluer les recettes provenant de sources très différentes : billetterie, mécénat (numéraire ou de compétence), redevance sur la librairie ou la restauration. « Sans vision directe sur les profits du musée, il est parfois difficile pour nous d’asseoir nos demandes de subventions pour les expositions auprès des collectivités territoriales, de légitimer nos actions », explique un directeur de musée géré en régie directe. D’autant plus que les grilles tarifaires des expositions temporaires dans les musées publics font souvent la part belle à la gratuité et aux tarifs réduits : les recettes de la billetterie sont souvent faibles. À Yerres, le maire, Nicolas Dupont-Aignan, a dû monter au créneau en 2014 pour expliquer les dépenses allouées à l’exposition « Caillebotte » en pointant les recettes attendues : mécénat d’entreprise, subventions de la Région et du Département, billetterie sur une estimation de 80 000 visiteurs et produits dérivés ; selon la municipalité, les recettes couvraient les dépenses. Et pour équilibrer un budget, des petits leviers peuvent jouer, tels que concessions sur l’éditorial, location d’espaces à l’événementiel, emploi de salariés en interne pour les convoiements de courte distance…

À la Réunion des musées nationaux, les nécessités économiques et les bilans financiers sont entrés dans les mœurs depuis plusieurs années déjà : « À l’issue des années 2000, nous avons mis en place des outils de gestion pour analyser les expositions en termes de résultats de production directe, entre coûts et recettes dans nos missions de service public, dont les expositions font partie. Et de manière générale, les expositions sont à l’équilibre, entre les gros succès dont les coûts sont élevés et les expositions plus pointues, moins médiatisées », souligne Philippe Platel, à la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP).

Institutions privées
Les exigences de rentabilité sont fortes dans les lieux privés, qui ne bénéficient pas de subventions publiques ni de la garantie d’État pour certaines valeurs d’assurance. Les expositions temporaires constituent alors comme de réelles prises de risques, qui doivent nécessairement attirer le public. À la Pinacothèque, institution entièrement privée ouverte à Paris en 2007, le choix a été celui des « coups » médiatiques. Quatre expositions annuelles, avec des grandes têtes d’affiche, drainent un large public de curieux, grâce en partie à de vastes campagnes de communication et à un affichage publicitaire généreux. Avec un billet d’entrée à 15,50 euros en tarif plein et 11,50 euros en tarif réduit – des réductions similaires à celles des autres lieux culturels –, la billetterie assure environ 60 % des revenus de l’institution, le reste venant de la boutique et des privatisations d’espaces (pour 10 %).
En délégation de service public, la société Culturespaces gère le Musée Jacquemart-André pour le compte de l’Institut de France : outre les obligations et des exigences propres aux missions de service public, l’enjeu est également la recherche de bénéfices pour la société. Avec un budget de fonctionnement avoisinant les 10 millions d’euros, et la moitié des recettes provenant de la billetterie (300 000 visiteurs en 2014), le musée génère de l’excédent : attirer est une obligation pour Culturespaces, et là également, les budgets de communication se révèlent déterminants pour les deux expositions temporaires annuelles.

Coproductions
Pour la plupart des musées, la coproduction ou la co-organisation sont aujourd’hui fréquentes. Dans le cadre d’expositions itinérantes, un contrat de co-organisation prévoit le partage des responsabilités et de certains coûts (scénographie et régie), partage auquel le contrat de coproduction ajoute celui des recettes voire des déficits. Chaque contrat est spécifiquement adapté à l’exposition. « Une coproduction implique un vrai travail conjoint des deux partenaires, autant sur la logistique que sur l’aspect scientifique : ce n’est possible que sur une exposition en une seule étape, puisqu’une itinérance implique une modification de la liste d’œuvres, des transports différents », note Philippe Platel. Pour le « Festival Normandie impressionniste », la RMN, coproducteur de trois expositions avec les musées de Caen, Rouen et du Havre, la coproduction a permis de mutualiser la logistique en regroupant les transports auprès des mêmes prêteurs : au lieu de payer trois expéditions pour les musées, ce poste de dépenses a été significativement réduit.

Restent l’apport scientifique, la satisfaction du public, la trace laissée dans la mémoire collective, la dynamique apportée par une exposition temporaire dans un territoire donné : des données qui ne seront jamais chiffrables…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Une gestion économique délicate

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