Bianca Roberts, vice-présidente du Mona Bismarck American Center, est une spécialiste de la recherche de mécénat.
Nommée en septembre 2014 vice-présidente du Mona Bismarck American Center en charge du développement de l’institution privée, Bianca Roberts est une spécialiste de la recherche en mécénat. Auparavant vice-présidente du California Institute of the Arts, elle vit maintenant entre Paris et Los Angeles.
Le Mona Bismarck American Center est-il à un tournant dans son histoire ?
Au Mona Bismarck American Center, les expositions ont toujours représenté de belles factures, mais à l’occasion d’un changement dans le conseil d’administration, nous avons décidé de nous concentrer sur l’art et la culture américaine. Cette année, nous ajoutons une programmation événementielle pour faire vivre le lieu. Des petits pas auxquels il faut adjoindre une levée de fonds pour continuer sur notre lancée. La billetterie ne peut pas constituer une source importante de revenus, et nous ne recevons aucune subvention de l’État américain, à l’inverse des maisons culturelles et des instituts étrangers [ministère des Affaires étrangères] à Paris. Le département d’État a une vision très particulière du soutien à l’accès à la culture, à travers des bourses éducatives à l’étranger et des actions en faveur de la diversité. L’ambassade américaine nous soutient en communiquant sur nos actions, en diffusant de manière positive notre programmation et encourageant notre programme éducatif. La Mona Bismarck Foundation existe depuis 1986, entre New York et Paris. L’argent est collecté aux États-Unis pour soutenir les actions de notre maison parisienne, mais l’association française est aussi capable de recevoir des donations et du mécénat de philanthropes en France à travers un fonds de dotation.
Comment envisagez-vous votre recherche de mécénat ?
Pour lever des fonds, je pense pouvoir trouver cet appui aux États-Unis, peu encore pour l’instant en France. Des philanthropes français sont là, ils commencent à prendre la mesure de leurs possibilités. Même si en France la culture est primordiale, et ancrée dans l’action centralisée de l’État, les baisses budgétaires sont là. La culture aux États-Unis a historiquement toujours été financée en grande partie par l’initiative privée. Et depuis longtemps, des millions de dollars américains ont été dépensés en France pour soutenir son patrimoine : les châteaux de Versailles, de Fontainebleau, de Blérancourt [Aisne], Giverny [Eure], le Centre Pompidou et bien d’autres. L’amour des Américains pour la France ne se dément pas !
Quelle est la spécificité du mécénat « à l’américaine » ?
À New York, à Los Angeles, dans toutes les grandes villes, il est extrêmement prestigieux de faire partie du conseil d’administration d’une institution culturelle. Cela pose le statut social d’une personne, et il est obligatoire de payer une somme donnée (parfois très importante) pour avoir accès au « board ». Ces sommes sont affectées au budget de fonctionnement général. Et chaque exposition appelle de nouvelles levées de fonds spécifiques. Mais les donateurs ne se limitent pas aux grands millionnaires, chacun participe selon ses moyens en adhérant au musée, avec le sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand, une communauté soudée autour du bien public : c’est la vraie philanthropie, qui est parfois familiale dans les grandes institutions.
Au-delà, le plaisir et l’altruisme sont les moteurs de la philanthropie. Notre métier est de cultiver ce sentiment, de créer le lien entre l’institution et le donateur, qui doit aimer l’institution et croire en elle comme dans les gens qui y travaillent.
Comment contrebalancer le pouvoir d’un conseil d’administration dans ces conditions ?
En principe il y a un « fire wall ». Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’influence ni d’intérêt. Cette influence se ressent dans les nominations des directeurs et des conservateurs qui sont choisis en fonction d’une vision partagée. Le choix est fait par le conseil. Mais une fois le personnel choisi, les directeurs ont une grande latitude d’action. Si un directeur de musée est défaillant, son contrat peut être résilié, mais pas au regard de ses choix artistiques. En France, il y a une certaine méfiance, beaucoup pensent qu’une ingérence est rendue possible par l’argent. Ils n’ont pas tout à fait tort. Mais c’est une question de gouvernance, il faut établir les responsabilités, instaurer des frontières dans l’institution.
Une chose primordiale, qui est finalement un peu oubliée aux États-Unis, c’est que le conseil a une responsabilité première envers le contribuable américain. Quand un mécène donne à une institution, c’est un pourcentage d’argent que l’État américain ne recevra pas. Il faut donc s’assurer que cet argent sera bien géré et qu’il sera rendu au contribuable. En second lieu, il y a la responsabilité envers l’institution culturelle.
Quel est le statut d’un directeur de mécénat ? Quelles sont les obligations en termes de recherche de financement ?
Un directeur de mécénat a souvent un salaire plus élevé que le directeur général, c’est dire l’importance de cette activité dans les musées. Il y a une obligation de résultat, des contrats d’objectifs. Mais jamais de bonus, c’est dans notre éthique professionnelle : il s’agit de financements issus du bien public, nous ne pouvons pas faire de bénéfices personnels. Nous nous devons d’être transparents sur nos dépenses.
Vous êtes-vous donné des objectifs dans votre nouveau poste ?
Le Mona Bismarck American Center est doté d’un budget de 1,5 million d’euros, autant dire que nous sommes une petite structure. À mon poste, j’arrive avec un objectif : lever 5 millions d’euros dans les dix-huit prochains mois, et lancer une grande campagne pour récolter 25 millions d’euros dans les cinq prochaines années. Nous voulons être à même de pouvoir recevoir de grandes expositions, cela veut dire mettre aux normes muséales la maison de Mona Bismarck. Pour atteindre cet objectif, la première campagne permettra d’engager du personnel, de poursuivre la programmation, de faire venir un public plus nombreux. Il faut engager de l’argent pour en gagner, et cela nous permettra d’apporter la preuve de nos compétences aux futurs mécènes.
Nous devons générer des revenus, montrer que nous sommes en mesure de nous aider nous-mêmes. La billetterie ne suffit évidemment pas. Il faudrait rechercher d’autres sources de revenus. À Paris, j’ai constaté que d’autres institutions privées semblent avoir des modèles économiques intéressants.
Comment envisagez-vous de promouvoir la culture américaine à Paris ?
Pour attirer le public dans le 16e arrondissement, nous allons entreprendre une programmation plus jeune, pluridisciplinaire. Il faut tendre un miroir aux tendances américaines, aux dialogues entre les artistes et les commissaires. Tenir étroitement aux tendances de l’histoire de l’art en s’attachant à la contemporanéité. Il faut faire attention, on ne peut pas tout faire. Mais j’ai envie de monter une série de conférences avec les artistes sur les sujets de société. On entend beaucoup parler les politiciens lors de périodes de crises, de tensions. Si l’on prend Ferguson aux États-Unis, Charlie Hebdo en France, ce sont en réalité des événements finalement similaires [qui se rapportent] à une jeunesse non intégrée, au racisme, à la pauvreté, à l’insécurité : là, les artistes ont quelque chose à dire. Le street art, le graffiti, le skateboard, l’influence du punk rock, de la chanteuse Patti Smith à l’artiste Jean-Michel Basquiat, c’est aussi cela les États-Unis, et ce qui forge le dialogue artistique américain.
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Bianca Roberts : « L’amour des Américains pour la France ne se dément pas »
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Bianca Roberts © Photo Krystal Kenney
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Bianca Roberts : « L’amour des Américains pour la France ne se dément pas »