La Galerie Odile Ouizeman réunit des œuvres d’artistes émergents qui visent à esquisser les contours d’une géographie invisible et fuyante, comme une invitation à trouver de nouveaux territoires.
PARIS - Pour Brigitte Zieger, un paysage, c’est vert. Ce qui est plus original, c’est la luminosité et l’acidité de ce vert en pleine nuit, comme la vision night shot [cliché de nuit] que donne une arme de guerre en visée, dans l’obscurité. Et puis surtout, sur ce qui apparaît à première vue comme un papier peint décoratif et qui est en réalité un film d’animation, on découvre la présence de personnages en mouvement dans ce qui ressemble à une savane arborée. Fugitifs, braconniers, frontaliers immigrants ? Eldorado Wallpaper, le titre de cette tapisserie d’animation, est plus grinçant qu’il n’y paraît.
Pour Caroline Corbasson, la terre est grise comme du graphite. Celui dont elle a recouvert ici trois mappemondes qui ne laissent plus apparaître que les lignes-raccords des tropiques et fuseaux horaires, voire, pour l’une d’entre elles, les vagues traces de continents enfouis, résurgents. Ces lignes sont aussi dans les « Dessins-Clepsydres » de Marie Velardi, comme tracés au compas pour retenir des coulées d’encre et d’aquarelle et dessiner ainsi des topographies aux allures de pierres de rêve. De mur en mur, dans cette exposition pensée par la galeriste Odile Ouizeman qui rassemble ici dix artistes, on découvre qu’il s’agit surtout de l’évocation de notions d’espace, de limites, de territoires, de cartographies, aussi bien mentales que réelles.
Carte en constante évolution
D’ailleurs, la galeriste qui a construit son exposition comme une histoire – le temps – et une balade – l’espace –, l’a intitulée « Géodésie, l’impossible tracé ». « Géodésie, du grec ancien gê, “Terre” et daiô “diviser”. La géodésie, science destinée à l’origine au tracé des cartes, s’est attachée à résoudre le problème des dimensions, puis de la forme de la terre », peut-on lire comme définition introductive du propos, accompagnée de cette citation de Gilles Deleuze « Constituer un territoire, c’est presque la naissance de l’art ».
Et c’est bien de territoires, de terra souvent incognita dont il est question ici. D’un monde souvent sens dessus dessous, déboussolé, flou. La carte de la planète de Pauline Delwaulle en est un bel exemple. Ses îles et ses continents sont figurés par des noms de lieux liés à l’idée de voyage, « Cordillère de l’Albatros », « Montagne Poireau », « Cap Pied Plat », « Pic Coq ». Des noms souvent saturés, pour plus ou moins densifier les lieux et faire vibrer leurs contours, comme une matière textuelle pour dessiner une carte sémantique. De même cette forme organique, de Tatiana Wolska réalisée avec des bouteilles de Badoit rouges thermosoudées, sorte de « comète cacahuète » venue d’on ne sait où. Ou encore cette série de photos de Laurent Pernot, qui liquéfient l’architecture de grandes villes (Chicago, Salt Lake City, Fès) pour évoquer l’effacement, l’instabilité, l’éphémère. Presque à l’inverse de la sculpture de Théodore Fivel qui, bien qu’en sable, est d’autant plus stable que ses grains sont collés. L’oxymore parfait de la dune immobile aux couleurs irisées impossibles. À l’image encore de ces « Objets réminiscents » de Yoan Béliard qui fait séjourner dans une grotte des objets kitschs pour qu’ils se recouvrent de sédiments, comme des stalagmites. Il efface ainsi en partie leurs formes initiales pour les transformer en fossiles. Dans cette même veine du tissage du temps, on peut citer Jiratchaya Pripwai et ses hallucinants dessins en écriture automatique.
Au-delà d’un voyage autour du monde, le parcours nous fait aussi découvrir de jeunes artistes, souvent pluridisciplinaires, puisqu’à l’exception de Brigitte Zieger (née en 1959), tous les autres sont nés entre 1977 et la fin des années 1980. En conséquence, leur cote correspond à des chiffres assez bas et permet pour une fois de trouver un dessin à 700 euros, comme ceux d’Augustin Steyer qui à partir de fragments de photos dessine ici au crayon blanc des sommets de plus de 8 000 m d’altitude, à la limite de l’invisible et avec une grande subtilité. Et l’œuvre la plus haute en prix est également une question posée au relief, puisqu’il s’agit de la montagne de dunes de Théodore Fivel qui grimpe à 7 500 euros.
Nombre d’œuvres : 33
Prix : entre 700 et 7 500 €
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Cartographies déboussolées
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 28 mars, Galerie Odile Ouizeman, 10-12 rue des Coutures Saint Gervais, 75003, tél. 01 42 71 91 89, www.galerieouizeman.com, mardi-vendredi 14h-19h et samedi 11h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Cartographies déboussolées