Installation

Vertiges visuels et décalages

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 février 2015 - 454 mots

Le Centre culturel suisse libère la sculpture comme hors du réel de Pierre Vadi, dans des espaces savamment construits par l’artiste.

PARIS - Pierre Vadi (né en 1966) sait à merveille s’emparer des espaces, les retravailler, mailler les territoires de ses sculptures étranges qui installent le regardeur dans l’inconfort de l’incertitude. Dans la cour du Centre culturel suisse, à Paris, ont pris place des arbres dans des bacs cubiques dont la surface semble constellée de trous ; l’installation a pour titre Les mouvements aberrants (2014). Une Étude pour les mouvements aberrants (2014) est d’ailleurs posée à l’étage, petit cube de béton et résine, véritablement troué celui-là, qui voisine avec une étrange sculpture en terre, elle aussi au sol, à la forme pas vraiment descriptible (Einsteinsturm, 2008).

Avec ces pièces qui curieusement, pour le regard, semblent à la fois proches et lointaines, c’est une forme d’étrangeté fictionnelle qui se met en musique à travers des éléments de langage comme épars, que chacun semble convié à assembler à sa guise. D’autant que souvent les titres des œuvres, emprunts de références littéraires diverses, convient ailleurs. Il y a de curieux dans cette proposition que tout paraît comme figé en un moment d’attente. Pourtant rien ne semble devoir être mouvant ni organique dans cet ensemble, à l’exception de quelques herbes folles qui, très joliment, ont colonisé à un endroit l’intérieur d’une cimaise et sont soumises à une lumière rouge qui semble les rendre artificielles.

Une perception sensorielle de l’espace
La lumière est d’ailleurs chez l’artiste un ingrédient essentiel, qui contribue grandement à l’instauration de ce climat particulier qui ceint l’exposition. Dès l’arrivée à l’étage, le premier espace qui accueille le visiteur, scindé par une vitre et avec ses murs peints en jaune, est soumis à une vive lumière de néon. D’emblée cet éclairage installe comme une sorte d’irréalité paradoxale, l’impression de se trouver dans des éléments de décor sans toutefois que n’ait complètement disparu le réel, quelque chose de tangible voire de palpable. C’est que la sculpture de Pierre Vadi se fait très matiériste, dans le sens ou les formes relativement élémentaires employées le plus souvent font montre de surfaces irrégulières, granuleuses parfois, tout en se jouant là encore de la perception lorsque résine, fibre de verre, voire béton, paraissent plus proches de la pierre ou du métal.
Par la manière dont il morcelle les espaces avec des parois de verre ou en ajoutant des portions de cloisons, l’artiste réinvente l’espace bien sûr, mais aussi le temps avec cette manière de créer des scansions et donc un rythme dans la composition de ce qui pourrait être un paysage mental, dont les composantes s’ingénient à parler « Plus d’une langue », comme l’affirme fort justement le titre de sa proposition.

Pierre Vadi. Plus d’une langue

Jusqu’au 29 mars, Centre culturel suisse, 32-38, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 44 50, www.ccsparis.com, tlj sauf lundi 13h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Vertiges visuels et décalages

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