Alors que Photopolis, le futur musée de la photo et de l’image de Bièvres envisage de créer des réserves sur le Plateau de Saclay tout proche, le ministère de la Culture brille par son absence de décisions. La mission photographique lancée par Frédéric Mitterrand en 2010 est loin d’avoir atteint ses objectifs et un centre d’archives continue à faire défaut.
PARIS - Fort de son classement en août 2013 parmi les huit plus importants lieux de recherche du monde, le Plateau de Saclay poursuit son développement. En 2020, ce territoire de laboratoires et d’entreprises autour notamment de l’imagerie, de la photographie et de la lumière devrait concentrer 20 % de la recherche française. Il devrait aussi accueillir à terme Photopolis, le futur musée de la photo et de l’image lié aux transformations et développements du Musée français de la photographie de Bièvres portés par son propriétaire et financier : le conseil général de l’Essonne.
Sous la conduite de Julie Corteville, sa directrice depuis deux ans et demi, ses locaux et outils pédagogiques pour les visiteurs scolaires du département ont été repensés. Des expositions temporaires se sont substituées aux vitrines de matériels photo. Elles reçoivent désormais les autres collections de l’institution que sont ses fonds professionnels et fonds amateurs, quasi invisibles jusque-là in situ malgré les acquisitions, les dépôts, dons ou commandes soutenus chaque année. L’exposition en cours « Aux frontières de l’intime : les photographes et leurs enfants » éclaire tout particulièrement la richesse des collections et la métamorphose du musée en cours. Elle n’est que la première phase, puisque de nouveaux locaux vont d’ici 2018 s’élever à proximité de la gare de Bièvre pour abriter les expositions et les autres activités du musée, tandis que « le pôle du Plateau de Saclay à 3 ou 4 kilomètres regroupera autour des collections et fonds de l’institution des partenaires engagés dans la culture numérique photographique et aux images dans l’ensemble de ses composantes techniques, artistiques, économiques et sociales », précise Renaud Chenu, conseiller culturel de Jérôme Guedj, président du conseil général.
De la complexité à rationnaliser
Le projet Photopolis regroupera les deux sites au budget d’investissement évalué à 25 millions d’euros. Côté politique, il fait l’unanimité toutes collectivités confondues : département, commune de Bièvres, communauté d’agglomération de Palaiseau, région Île-de-France et État. Photopolis ambitionne de fédérer également les autres opérateurs de la photographie du Grand Paris et d’ouvrir ses futurs espaces de conservation à d’autres fonds et collections que les institutions, galeristes ou collectionneurs photo souhaiteraient entreposer. Ce dernier volet du projet développé récemment, et qu’il reste à concrétiser, ramène à la problématique récurrente de la gestion des fonds photos, tant au niveau de l’État, des collectivités territoriales que des institutions : l’insuffisance des lieux de conservation, le coût inhérent à la location de magasins et la création de poste de documentalistes, conservateurs. À la Mairie de Paris, on confie qu’« une réflexion est en cours sur l’immobilier de la direction des Affaires culturelles pour fixer un schéma directeur de rationalisation des implantations. » Après avoir isolé et déménagé les nitrates de ses différents fonds et archives dans un lieu aménagé à cet effet dans Paris afin de les traiter, inventorier et numériser avec le personnel requis, la municipalité entend donc poursuivre la politique menée jusque-là.
Du côté de l’État (le cabinet du ministre n’a pas voulu répondre à nos questions), il apparaît que les ambitions affichées lors de la création de la mission photo engagée par Frédéric Mitterrand, en mars 2010, se sont rapidement étiolées en matière de gestion de fonds. Ses travaux annoncés en grande pompe aux Rencontres d’Arles par le ministère de la Culture, cinq ans après, n’ont guère débouché sur du concret depuis le changement de majorité au Gouvernement. Pilotée par Daniel Barroy – secondé au départ par Manuel Bamberger – la mission photo avait notamment pour objectif de renouer le dialogue avec les professionnels et de solder les problèmes du passé, cristallisés autour de la gestion des donations et de la menace de disparition de fonds. Cinq ans après, seule la création du portail Arago piloté par la RMN s’est concrétisée, mais loin de l’esprit souhaité par les institutions intéressées par cette mise en ligne d’une sélection de leurs photographies. « Ils n’ont pas compris à la RMN que nous voulions un site photographique et pas un service commercial iconographique qui gère des fonds », disent agacés nombre de conservateurs de photo.
Des initiatives peu fructueuses
De son côté, la commission des dons et des legs – qui devait réunir un groupe d’experts de la photographie pour orienter les personnes ou les structures souhaitant faire un don ou un legs vers la structure la mieux adaptée – ne s’est jamais réunie, y compris depuis sa création officielle en mars 2012 placée sous l’égide du directeur général du patrimoine. Le projet de création d’un centre d’archives à Arles adossé au nouveau bâtiment de l’École nationale supérieur de la photographie a été tout aussi vite enterré, là faute de budget. Au Fort de Saint-Cyr à Montigny-le-Bretonneux, initialement prévu pour accueillir les négatifs photographiques des institutions publiques qui le souhaitaient, la Médiathèque du patrimoine et de l’architecture est restée sourde à leur demande. L’arrivée en décembre de Gilles Désiré dit Gosset à la direction de la Médiathèque et sa décision de créer un comité scientifique pourrait dégeler la situation. Quant aux rapatriements des tirages papiers sur le site de Charenton, nouvelle antenne de la Médiathèque du patrimoine et de l’architecture conçue davantage comme un lieu de consultation pour la photographie que de réserves, il ne se fera qu’en partie, compte tenu des capacités de conservations limitées des bâtiments rénovées. Pour l’heure, les problèmes de climat dans les réserves ont retardé de manière générale l’installation des collections. La lettre de l’ancien député maire de Chalon-sur-Saône, Christophe Sirugue à Aurélie Filippetti proposant de mettre à disposition de l’État les compétences du Musée Nicéphore Niépce en matière de gestion de fonds photo n’a fait pour sa part l’objet d’aucune réponse. La visite à Philippe Barbat, lorsque ce dernier était en charge du patrimoine auprès de la ministre, n’a pas davantage suscité de réactions. Aucun lien par ailleurs n’a semble-t-il été fait entre la proposition de Chalon-sur-Saône et les deux inspecteurs de l’inspection générale des Affaires culturelles (IGAC) qui se sont penchés, à la demande d’Aurélie Filippetti, sur la politique de la photographie au sein du ministère, notamment en matière de fonds photo. À lire dans le rapport d’activité 2014 de l’IGAC la proposition de ses deux inspecteurs, Bernard Notari et Marie-Claude Vitoux, on s’interroge sur la réelle portée de cet énième rapport qui a sollicité une nouvelle fois les responsables photo des différentes institutions nationales.
Prônant une nouvelle organisation de la filière, ce rapport préconise, entre autres, la création « d’un groupe d’intérêt public dédié à la photographie et à ses usagers » dont l’un des domaines « consisterait en un service nouveau pour l’harmonisation des référencements documentaires de la photographie et la géolocalisation des fonds photographiques. » Rien de révolutionnaire dans tout cela, puisque l’un des rôles du portail Arago est d’œuvrer à cette géolocalisation déjà entreprise dans le passé par le répertoire Iconos, édité jusqu’en 2008 par la Documentation française et référence absolue en la matière jusqu’à sa disparition. Personne n’ignore que la problématique de la gestion des fonds au sein des institutions publiques en charge de fonds photo nécessite moins de rapports que de créations de postes de documentaristes, de conservateurs et de numérisations. Ce qui suppose de dégager des moyens financiers et de sortir du centralisme parisien pour fédérer les synergies. Mais cela, c’est une autre histoire.
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La Rue de Valois boude la photographie
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Abonnez-vous dès 1 €Le Fort de Saint-Cyr, à Montigny-le-Bretonneux, siège des archives de la Médiathèque du Patrimoine. © Photo : Lionel Allorge.
Musée français de la photographie, à Bièvres. Photo D.R.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : La Rue de Valois boude la photographie