Design

Le socle des lumières

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 10 février 2015 - 681 mots

À Londres et surtout à Paris, la galerie Kreo expose une profusion de luminaires français et italiens, des pièces historiques datées des années 1950 à 1070.

PARIS, LONDRES - Ce n’est plus un lieu d’exposition, mais le rayon luminaires d’un grand magasin. Pour les besoins de « La Luce Vita », la galerie Kreo a métamorphosé son espace parisien et ajouté plafond et parois verticales pour exhiber une flopée de luminaires français et italiens datés des années 1950, 1960 et 1970. Au total, quelque cent vingt spécimens en tous genres : plafonnier, suspension, applique, lampadaire, lampe à poser ou de bureau… L’exposition, bicéphale, se déploie aussi dans la filiale londonienne, mais de manière plus mesurée avec une vingtaine de luminaires seulement, concentrant les créations d’un designer pour le moins prolifique : le Transalpin Gino Sarfatti (1912-1985), as du lumen et créateur de génie. Ce dernier est la vedette de cette double présentation, présent en force à Paris également, notamment avec ce travail sur le tube fluorescent datant du milieu des années 1950. À peine ce nouvel éclairage était-il sur le marché que le designer s’en empara, dessinant à l’époque des lampes comme des sculptures, alors que l’art minimal n’existe pas encore – l’artiste Dan Flavin, en particulier, n’usera du tube fluorescent qu’à partir des années 1960. En témoignent les splendides luminaires 1063 et 3026. « Ce que j’apprécie par-dessus tout chez Sarfatti, c’est son ingéniosité, explique Didier Krzentowski. À chaque fois, il a su trouver une solution extraordinaire, avec le minimum de matériaux. » Joignant le geste à la parole, le galeriste fait glisser l’abat-jour métallique du lampadaire 1089 le long de sa tige verticale en le manipulant simplement avec deux doigts. Celui-ci descend ou monte sans effort puis, une fois la pression relâchée, s’immobilise aussitôt : « Génial, non ? ». L’homme s’y connaît. Sur une durée de trente ans, il dit avoir accumulé environ 650 lampes : « Tout ce que vous voyez dans l’exposition sont forcément des doubles de ma propre collection », assure-t-il. Des « doubles » tirés de ladite collection donc, ou bien réunis pour l’occasion. Et le tableau est assurément important, car, outre Gino Sarfatti, personne ne manque à l’appel des deux côtés des Alpes : des Italiens Achille et Pier Giacomo Castiglioni, Sergio Asti, Joe Colombo et Vittoriano Viganò aux Français Pierre Guariche, Robert Mathieu, Jean-Boris Lacroix, Pierre Paulin ou Jacques Biny.

Un objet plus affectif
Pierre Guariche arbore à la fois la sobriété avec le lampadaire G54 (18 000 euros) et l’astuce avec cette applique Chevet (5 000 euros), qui peut également faire office d’étagère d’appoint. Avec le lampadaire 344 (26 000 euros), Giuseppe Ostuni montre, lui, toute son habileté, grâce à un ingénieux système d’orientation de l’abat-jour permettant de jouer à l’envi avec la lumière. Quant à Mathieu Robert, il dessine une remarquable applique murale (30 000 euros) qui marie avec adresse bois et métal. Enfin, la star Gino Sarfatti pratique le grand écart : depuis cette petite lampe de table d’un jaune soutenu (3 500 euros) jusqu’à l’une des pièces maîtresses de l’exposition, le lampadaire 1050/2 (affiché à plus de 60 000 euros) datant de 1951 et doté de trois différentes sources lumineuses. Sans oublier l’évanescent lampadaire 1090/P, joyeusement « corseté » dans sa gangue ondulante de plastique (32 000 euros).

Côté collectionneurs : « Je ne peux évidemment vous révéler leurs noms, prévient Didier Krzentowski, mais nous avons de nouveaux acheteurs, notamment des jeunes, aussi bien français qu’étrangers. Une lampe est plus accessible qu’un buffet ou qu’une table. Sans doute y a-t-il aussi, dans un luminaire, un côté plus chaleureux, plus affectif. » Exception à la règle, ce luminaire imaginé non pendant les décennies mises en avant mais aujourd’hui, non par un designer mais par un artiste, le Français Philippe Parreno : sa lampe de table Happy Ending soufflée à la main devrait être éditée à 20 exemplaires (25 000 euros pièce), chaque pièce devenant, de fait, unique.

La luce vita

Nombre de pièces : environ 120 à Paris et 20 à Londres
Prix : de 3 500 à 35 000 €

La luce vita (Nanda, Gino, Pierre, Robert et les autres), luminaires français et italiens des années 1950, 1960 et 1970, dans les deux espaces de la galerie Kreo : jusqu’au 6 mai, au 31, rue Dauphine, 75006 Paris, tél. 01 53 10 23 00, www.galeriekreo.fr, mardi-samedi, 11h-19h ; jusqu’au 28 mars, au 14 Hay Hill, Londres, tél. 44 207 499 46 11, www.galeriekreo.fr, mardi-samedi, 10h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Le socle des lumières

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