Mondialisation

80 ans de japonismes

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 28 janvier 2015 - 873 mots

L’ouvrage « Japonismes » examine les multiples influences de l’art et de la culture du Japon en Occident de 1850 à 1930.

« Le japonisme, c’est l’influence des arts du Japon, à partir du milieu du XIXe siècle et dans l’ensemble du monde occidental, sur les artistes, au-delà de toutes hiérarchies, peintres, architectes, sculpteurs, designers, ornemanistes, manufacturiers, artisans, à une période où l’intérêt pour le Japon s’amplifie au fil du déploiement militaire, diplomatique et commercial des empires européen et américain. » Si le point de départ de Japonismes est cette définition classique, nette et précise, d’un mouvement qui n’a cessé de toucher la création et l’art de vivre à l’occidentale, l’ouvrage affiche l’ambition de dépasser la simple étude historique. Son élégante présentation et son iconographie impeccable en font, certes, un coffee-table book des plus séduisants, mais Japonismes a surtout été pensé et conçu comme une somme destinée à faire référence.

Puisant sa matière et ses illustrations dans les collections du Musée des arts décoratifs, du Musée d’Orsay et du Musée national des arts asiatiques-Guimet, il réunit un ensemble d’essais thématiques signés par les conservateurs attitrés de ces trois institutions. Tandis qu’il met habilement en regard des œuvres créées au Japon et en Occident, au point parfois de semer le trouble chez un œil non averti, il révèle les passerelles esthétiques et intellectuelles qui relient ces deux mondes depuis plus d’un siècle et demi. Architecture, peinture et affiches, mode et textiles, et bien entendu arts décoratifs avec l’Art nouveau et l’Art déco, tous les pans de la création européenne et nord-américaine touchée par la vague nippone sont passés à la loupe, et remis dans le contexte global de l’ouverture au monde de ce petit archipel du Pacifique riche en rites et en traditions séculaires. Si l’année 1867 marque la première participation du Japon à une Exposition universelle, le phénomène précède cette date officielle. Il varie aussi beaucoup selon les périodes et l’interprétation qu’en font les artistes, raison pour laquelle Olivier Gabet, directeur des musées des Arts décoratifs et fin spécialiste en la matière, insiste sur le pluriel donné au terme de « japonismes » dans son introduction à l’ouvrage. Chez le japoniste convaincu qu’était Claude Monet par exemple, si le portrait de madame en kimono maniant habilement un éventail est d’inspiration très littérale, la composition de La Pie (1868-1869) ou de La Charrette. Route sous la neige à Honfleur (v. 1867) du même auteur ne révèle que subtilement l’influence des estampes japonaises et leur conception poétique de la représentation du monde. Gauguin, Toulouse-Lautrec, Whistler, Bonnard ou encore Vuillard puiseront à la même source, avec des résultats tout aussi personnels. Le designer écossais Christopher Dresser retiendra pour sa part l’esprit nippon de l’économie des formes au moment de créer des services de table à la silhouette épurée.

Un engouement général en Europe
Surprenants voire insoupçonnés aux yeux du grand public, les rapprochements esthétiques proposés par l’ouvrage offrent aux amateurs une piqûre de rappel bienvenue sur l’inspiration nippone de célèbres artistes et créateurs européens. Le choix de présenter sur une même page des créations d’Extrême-Orient et d’autres d’Occident esthétiquement semblables provoque volontairement la confusion ; elle donne aussi à voir cette « profession de foi » que l’on a peine à mesurer aujourd’hui. En effet, des Européens adoptent la manière japonaise comme on entre en religion : Les Trente-Six Vues de la tour Eiffel (1902) par Henri Rivière, sujet éminemment français traité à la façon d’un Hokusai face au mont Fuji, est un exemple puissant d’un artiste converti. En revanche, chez Utagawa Yoshitora, qui, au début des années 1860, peint des Japonais habillés à la mode européenne avec le souci de la profondeur de champ, l’occidentalisation de cette manière japonaise est troublante mais moins radicale.

Les artistes n’étaient pas les seuls apôtres de l’art du Japon, loin de là. Une série de portraits de critiques (Philippe Burty, Edmond de Goncourt), de collectionneurs (Émile Guimet, Henri Cernuschi, Isaac de Camondo) et de marchands (Auguste et Philippe Sichel, Siegfried Bing) parsème l’ouvrage et donne chair à tous ceux qui ont popularisé l’art japonais auprès de leurs contemporains. Et si le japonisme est devenu aujourd’hui un terme historique, réhabilité à la faveur d’historiens de l’art et de conservateurs de musées à partir des années 1970, Japonismes démontre que ce phénomène d’interpénétration est toujours d’actualité.

Du Japon à la Chine

Le Japon n’est pas le seul pays d’Asie à avoir suscité un tel engouement auprès des collectionneurs français et européens entre 1850 et 1930. L’exposition « De la Chine aux Arts décoratifs » qui s’est achevée le 11 janvier dernier au musée des Arts décoratifs réunissait les plus beaux dons, legs et acquisitions d’art chinois assemblés par l’institution parisienne depuis sa création. Les visiteurs qui auraient raté l’événement peuvent se rattraper avec le petit catalogue publié pour l’occasion. Placé sous la direction de Béatrice Quette, responsable des activités culturelles au musée, l’ouvrage offre un reflet clair et concis de cette exposition organisée dans le cadre des célébrations du 50e anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises – raison pour laquelle le texte français est accompagné de légendes traduites en anglais et en chinois.
« De la Chine aux arts décoratifs », sous la direction de Béatrice Quette, Les Arts décoratifs, 96 pages, 25 €.

Japonismes, ouvrage collectif sous la direction d’Olivier Gabet, éd. Flammarion, 2014, 240 p., 49,90 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : 80 ans de japonismes

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