Le Crédac redonne vie à l’œuvre complexe et l’imagerie homosexuelle de Bruno Pélassy, disparu en 2002, où le raffinement balance avec l’outrance abrupte.
IVRY-SUR-SEINE - Un peu comme une comète, une trajectoire fulgurante, celle d’un nom resté dans les mémoires sans trop savoir qu’y rattacher, hormis deux ou trois images d’une œuvre brutalement interrompue à l’âge de 36 ans, à cause du sida. Après une exposition hommage qui s’était tenue au Mamac de Nice en 2003, passée trop inaperçue, le Crédac, à Ivry-sur-Seine, a la fort bonne idée de revenir sur le travail de Bruno Pélassy (1966-2002) et d’en dévoiler une très grande part : une soixantaine d’œuvres représentant environ 80 % d’une production élaborée sur une petite dizaine d’année, sa première exposition s’étant tenue en 1993 à la galerie Art : Concept, alors niçoise.
De cette exposition sont ici visibles une série de cinq reliquaires suspendus au plafond et alignés face à un mur noir (Reliquaire, 1992-1993). Baroques dans leurs découpes et leur ornementation, les vitrines renferment des pièces de verrerie, sortes de bijoux impossibles et gorgés d’emphase, mais aussi un blouson de l’artiste orné d’un cœur rouge sang. Voilà posée la complexité du travail de Pélassy, qui constamment évolue sur une ligne de crête sinueuse entre des oppositions constitutives et de langage : la préciosité et le folklore d’un vocabulaire lié au sacré d’un côté ; la rudesse, si ce n’est l’outrance, d’une imagerie sexuelle, rock et « queer »[ndlr, dans le double sens pouvant signifier étrange, mais aussi gay] de l’autre. Bien pensée est dans l’exposition cette proximité entre une subtile coiffe en cristaux éclatants couverte de serpents entremêlés inspirée par la figure de Méduse (Sans titre (Casque de Méduse), 1997), et un énorme sexe masculin confectionné en billes de verre, en hommage à une star du porno gay (Sans titre (Bye bye Jeff), 1998).
Une mise en scène sombre mais sensible
Partout l’imagerie sexuelle est présente, dans des objets ambigus souvent, tels un gant en cotte de maille dressé à la verticale (Sans titre, 1998) et ces Relaxing Balls (1996) en cire déposées sur un lit de poils pubiens dans un petit coffret doré, ou encore un pistolet en verre inscrit dans un ouvrage dont les pages ont été découpées afin de l’accueillir, un Nouveau précis de pathologie chirurgicale (non daté). C’est que ce travail est aussi celui d’une génération, une histoire des années 1990 qui a vu des artistes nombreux se mobiliser face au sida et à la stigmatisation : des collectifs comme Act up ou Gran Fury, en passant par General Idea et Felix Gonzalez-Torres qui revient en mémoire face à ce rideau de perles portant l’inscription « Viva la muerte » (Sans titre (Viva la muerte), 1995).
La trajectoire de Bruno Pélassy est celle d’un artiste autodidacte qui va à Paris suivre une formation en couture et joaillerie – ce qui le conduira notamment à collaborer à des collections de la maison Swarovski – avant de retourner à Nice, où il squatte les ateliers de la Villa Arson sans y étudier. Nombre de ses œuvres affichent finesse et subtilité, « des pièces fragiles qui portent en elles leur disparition et même l’anticipent », commente Claire Le restif, directrice du Crédac et commissaire de l’exposition. À l’instar de cette série de Bestioles (1994-2002) qui se déclenchent au bruit d’un claquement de mains et se mettent en branle en une folle sarabande ; des jouets mécaniques dépecés et recouverts de perruques, fourrure synthétique, plumes ou autres délicats pliages de papier, dont l’artiste aimait que, lâchés dans l’espace, ils viennent perturber l’exposition. Ou encore cet aquarium dans lequel évoluent de concert en un ballet silencieux, léger et hypnotique deux créatures jumelles habillées de tulle et liées l’une à l’autre. Indéfinissables elles évoquent toutefois des testicules, d’autant qu’également intitulées Relaxing Balls (2000) : raffinement et rugosité, toujours.
L’initiative du Crédac, concomitante avec la sortie d’un ouvrage écrit par Marie Canet, n’est pas isolée, puisque le centre d’art Passerelle, à Brest, présentera lui aussi quelques œuvres lors de son prochain cycle d’expositions qui s’ouvrira le 6 février, avant le Centre régional d’art contemporain de Sète au printemps, puis le Mamco de Genève en février 2016 ne s’emparent eux aussi de l’exposition. Une multiplicité de voix bienvenue.
Commissaire : Claire Le Restif
Nombre d’œuvres : environ 60
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Queer as folk
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 22 mars, Centre d’art contemporain d’Ivry, Le Crédac, La Manufacture des œillets, 25-29, rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 49 60 25 06, www.credac.fr, tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h, entrée gratuite.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Queer as folk