Le CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux déploie avec brio l’œuvre de Franz Erhard Walther, tout en insistant sur les liens entre corps, sculpture et langage.
BORDEAUX - Qui aurait cru sortir repu de la belle rétrospective que consacrait au printemps dernier le centre d’art contemporain Wiels (Bruxelles) à Franz Erhard Walther devrait se rendre à Bordeaux, et qui ne l’aurait pas vue devrait y courir. Coproducteur de l’exposition, le CAPC en accueille en effet la seconde et ultime étape, dans une version élargie mais nullement diluée. Avec plus de 200 œuvres colonisant les quelque 2 000 mètres carrés du rez-de-chaussée de l’entrepôt Lainé, est offerte une lecture d’une grande cohérence des diverses époques de production et des préoccupations de l’artiste.
Ce qui interpelle d’entrée le regard embrassant les travaux réunis dans la nef et les pièces qui se dévoilent dans les galeries latérales, c’est une impression d’attente si ce n’est de latence. Comme si la souplesse et la légèreté des formes dispersées, pour beaucoup confectionnées en tissu, n’étaient pas figées mais contenues dans un état transitoire participant à la constitution d’un vocabulaire. Certes, il est notoire que, depuis le début des années 1960, l’art de Walther n’existe pleinement qu’à travers l’action des spectateurs qui vont lui donner vie par l’usage et l’activation – ce que pointe le titre de l’exposition, « The Body Decides » [le corps décide]. Mais ce qui frappe ici, c’est qu’au-delà de l’acte et de la forme ou de la sculpture qui peut en résulter, même temporairement, c’est une problématique du langage qui s’installe dans l’ensemble de l’œuvre.
L’accrochage déploie toutes les installations importantes de l’artiste, à commencer par Werksatz, une première série de 58 éléments protégés par des housses de coton et réalisés entre 1963 et 1968, dont des copies d’exposition invitent à la manipulation, laissant au spectateur une responsabilité dans l’accomplissement d’une sculpture. Mais il présente aussi ce fascinant réservoir de modèles en couleurs, en constitution depuis 1969, et qui paraît ne jamais pouvoir prendre fin, ou encore ces récentes Formes corporelles (2012) totalement abstraites et dont les contours appellent le corps à prendre position au-devant d’elles comme pour en composer une extension.
Déconstruction des codes
Quant à la question du langage à proprement parler, certaines galeries révèlent quelques Images Mots, soit des dessins de moyen format exécutés à la fin des années 1950 dont une centaine a été conservée sur les 220 exécutés. Sur chaque feuille l’artiste a appliqué à un mot choisi des combinaisons de typographie, couleur et taille variables, comme s’il anticipait là à la fois la multiplicité et l’unicité à venir de ses sculptures. Langage toujours avec Le Nouvel Alphabet en volume créé dans la première moitié des années 1990 et dont pas une lettre ne ressemble à une autre, ni dans son volume, ni dans ses couleurs, ni même dans son principe constitutif – certaines étant modulables ou utilisables.
Le langage à travers l’écriture, Walther y est venu lui-même avec une formidable série de pages crayonnées sur lesquelles, évitant la biographie, il raconte son œuvre depuis 1947, alors qu’il est âgé de 8 ans ! En illustrant le texte par des dessins, c’est comme s’il avait voulu sortir des carnets qui lui ont servi de matrice et d’appui et voulu tendre vers un autre type de volume ; des quelque 500 Dessins de poussières d’étoile (2007-2009), 60 sont exposés.
D’autres salles sont consacrées aux œuvres de jeunesse. De quoi se rendre compte que, très tôt, Walther s’attelle à la déconstruction des codes classiques de la sculpture, comme avec Grands travaux de papier. 16 inclusions d’air, en 1962. Des rectangles blancs boursouflés sur le mur, tous différents, sont en fait constitués de deux feuilles entre lesquelles l’artiste a soufflé avant de les sceller, donnant ainsi forme à l’air expectoré, comme en une projection du corps… tout en faisant du souffle une composante d’un langage singulier, déjà.
Commissariat : Alexis Vaillant
Nombre d’œuvres : plus de 200
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dans les formes du langage
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 8 mars, CAPC-Musée d’art contemporain, 7, rue Ferrère, 33000 Bordeaux, tél. 05 56 00 81 50, www.capc-bordeaux.fr, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-20h, entrée 6,50 €. Catalogue, coéd. Wiels, Bruxelles/CAPC, Bordeaux, 116 p., 59 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°427 du 16 janvier 2015, avec le titre suivant : Dans les formes du langage