La Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, dresse un portrait intime et inattendu de l’architecte et restaurateur de nombreux monuments.
PARIS - Porté aux nues ou conspué selon les époques, Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) a suscité nombre d’exégèses, parfois contradictoires, qui ont enfermé le célèbre architecte, restaurateur et théoricien de l’architecture dans des rôles réducteurs : tantôt passéiste obnubilé par le Moyen Âge ou précurseur du mouvement rationaliste (1) ; tantôt destructeur du patrimoine ou redécouvreur de l’architecture gothique… « Comme si l’on n’arrivait toujours pas à prendre la vraie mesure de son œuvre immense », déplore Jean-Michel Leniaud, commissaire scientifique de la rétrospective « Viollet-le-Duc » qui occupe la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. Celui qui a restauré Notre-Dame de Paris et (re)bâti le château de Pierrefonds (Oise) est l’auteur d’une masse considérable de dessins, peintures, plans et écrits que l’État a patiemment acquis de la fin du XIXe siècle à 2007. C’est à la lumière de ces documents que l’exposition examine aujourd’hui le cas Viollet-le-Duc dans un parcours chrono-thématique affranchi des classifications et chevillé aux pas de l’architecte.
Élevé sous l’influence de son oncle, le peintre et critique d’art Étienne-Jean Delécluze, dans un cénacle d’artistes et d’amoureux du patrimoine où se côtoient Stendhal et Mérimée, le jeune Viollet-le-Duc va rejeter la formation académique d’architecte au profit de quelques pérégrinations romantiques menées sur les routes de France et d’Italie entre 1831 et 1837.
Sensitif
Doté d’un sens exceptionnel de l’observation et d’un incontestable talent de dessinateur (qui explose dans ses paysages naturels et ses vues de monuments croqués au cours de ses voyages), il possède en outre depuis l’enfance une grande sensibilité aux édifices médiévaux. « Tout à coup, les grandes orgues se firent entendre ; pour moi, c’était la rose que j’avais devant les yeux qui chantait », écrit-il dans ses Entretiens sur l’architecture (1863), réactivant son impression enfantine face aux vitraux de la cathédrale parisienne. Ainsi la parole de Viollet-le-Duc guide-t-elle l’exposition, apposée sur des panneaux et des cartels, ou diffusée à l’aide de dispositifs sonores immersifs. Un Viollet-le-Duc aussi sensitif que théoricien se dévoile dans ces souvenirs que l’architecte relata à chaud dans sa correspondance, ou, plus tard, parvenu à l’âge mûr.
Pour Jean-Michel Leniaud, le chaînon qui a longtemps manqué à la compréhension de l’architecte – souvent résumé à sa connaissance encyclopédique du Moyen Âge et à ses doctrines rationalistes – résiderait dans les visions qui l’ont habité dès son plus jeune âge et qui ont sous-tendu sa création comme autant d’images subliminales. « Je vois le Colisée avec son immense mer de gradins couverts de la foule romaine », écrit-il à son père en 1836. Une illumination survenue à Rome à laquelle semble répondre l’impressionnante aquarelle Vue restaurée du théâtre de Taormine (1839), regorgeant de spectateurs antiques. C’est à la lumière d’une tension entre réalité et imaginaire que l’on peut éclairer son œuvre, une tension à son apogée dans le chantier de Pierrefonds, réminiscence idéale d’un château surgie des ruines. Mais il est aussi doué d’une intuition très précoce des structures architecturales et organiques qu’il va rationaliser une vie durant, au travers notamment d’une intense activité de théoricien et de pédagogue, présentée en fin de parcours. L’exposition dessine ainsi les contours intimes d’une personnalité originale et visionnaire, à l’image du portrait qui se déploie sur l’affiche créée pour l’occasion : immortalisée par un daguerréotype anonyme de 1848, la figure de Viollet-le-Duc trône de manière conquérante entre la « cathédrale idéale » et les créatures fantastiques qu’il a créées. Clin d’œil direct à la couverture des Voyages extraordinaires de Jules Verne édités en 1889, cette affiche vient appuyer le caractère quasi hagiographique de l’exposition, contrebalancé par un dialogue pertinent entre œuvres et médiation écrite.
Commissariat : Jean-Michel Leniaud, directeur de l’École nationale des chartes (commissaire scientifique) ; Jean-Daniel Pariset, directeur de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine ; Christine Lancestremère, conservatrice en chef du patrimoine à la Cité
(1) « Combinaison du besoin à satisfaire, de la matière employée et de la façon », Eugène Viollet-le-Duc, in Entretiens sur l’architecture, 1863.
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Viollet-le-Duc en ses visions
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Abonnez-vous dès 1 €Viollet-le-Duc, les visions d’un architecte, Cité de l’architecture et du patrimoine, jusqu’au 9 mars, 1, place du Trocadéro, 75016 Paris, tél. 01 58 51 52 00, tlj sauf mardi 11h-19h, jeudi jusqu’à 21h, entrée 8 €, www.citechaillot.fr. Catalogue, Norma Editions, 240 p., 38 €.
Légende Photo :
Eugène Viollet-le-Duc, Vue cavalière du château de Pierrefonds en cours de restauration, 1858, aquarelle, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont. © Photo : Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, dist. RMN.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°427 du 16 janvier 2015, avec le titre suivant : Viollet-le-Duc en ses visions