Actes Sud réédite le « Voyage pittoresque et historique au Brésil » de Debret. Ou comment être à la fois peintre et historien, esclave de son temps et capable de voir l’avenir.
Jean-Baptiste Debret (1768-1848) montre un certain sens de l’à-propos, en optant pour la carrière de peintre d’histoire à l’aube de la Révolution française. D’abord assistant de son oncle, le grand Jacques Louis David, il acquiert sa renommée en peignant les campagnes napoléoniennes. En 1816, il quitte l’Europe pour découvrir le Brésil, qui gagnera son indépendance six ans plus tard. Debret est devenu une figure historique au Brésil parce qu’il a mis ce statut de grand témoin, aidé d’un coup de crayon académique, au service d’une analyse étonnamment avant-gardiste.
Debret découvre le Brésil dans le cadre de la Mission artistique française, partie sous le commandement de Joachim Lebreton pour fonder à Rio de Janeiro « une école royale des arts, des sciences et des métiers », dont la principale émanation sera en 1826 l’Académie – actuelle – des beaux-arts de Rio. Comme l’explique Jacques Leenhardt dans la précieuse introduction qu’il consacre à l’ouvrage, plus qu’un « voyage pittoresque », artifice éditorial, c’est une encyclopédie que propose Debret. Jugez plutôt : commentant près de 500 aquarelles, l’auteur passe en revue, avec une méthode scrupuleuse, quinze ans d’observation. Dans un premier livre, les paysages et les espèces végétales entrecoupent les descriptions des différentes ethnies d’Indiens. Il est tantôt botaniste méticuleux, tantôt ethnologue distant. Étudiant les Indiens, leurs danses, leurs habitudes alimentaires ou sexuelles, Debret passe volontiers de l’académisme à l’ironie, de la froide description à l’empathie.
Inventaire social
Dans le second livre, l’inventaire est encore plus fouillé : habitant à Rio, voyageant peu, c’est aux descriptions urbaines et sociales que Debret consacre la grande part de son travail : esclaves noirs, premiers métis, classe dirigeante européenne. Conjuguant au racisme de l’époque des considérations étonnamment visionnaires (« cette ligne de démarcation entre mulâtres et Blancs […] sera un jour effacée par la raison »), il passe en revue les métiers, l’artisanat, le commerce, la chasse, mais aussi la mode, l’architecture, les armées… La troisième partie est œuvre de chroniqueur et de peintre de cour : il y rapporte les fêtes populaires, les événements politiques, la vie religieuse. Debret s’attèle durant quinze ans à un inventaire social qui révèle sa démarche politique : parti « prêcher la parole des beaux-arts dans l’autre hémisphère », il préfère, dans son travail personnel, analyser l’ordre social, parier sur l’avenir.
Cette particularité fera de l’ouvrage un objet historique et historiographique du Brésil moderne : d’un côté, la Mission artistique française symbolise l’académisme européen, qui sera rejeté par les modernistes nationalistes dans leur quête d’authenticité brésilienne. De l’autre, le Voyage pittoresque sera traduit pour la première fois en portugais en 1944, par ces mêmes modernistes qui reviennent à la source de la nation brésilienne pour mieux en façonner les mythes. Un hommage selon Debret l’historien. Soixante-dix ans plus tard, Brésiliens et Français proposent chez Actes Sud leur hommage au peintre.
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Chronique d’un visionnaire
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Abonnez-vous dès 1 €Jean-Baptiste Debret, Voyage pittoresque et historique au Brésil, sous la direction de Jacques Leenhardt, éd. Actes Sud, Arles, 2014, 635 p., 99 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Chronique d’un visionnaire