À contre-courant des critères de la « bonne » photographie ou de la photographie artistique, Michel Frizot replace la question du regard au centre de la réflexion sur le médium.
PARIS, GENTILLY - Lorsqu’il enseignait à l’École du Louvre ou à l’université Paris-IV, Michel Frizot avait coutume de dire à ses étudiants avant d’entamer son premier cours : « Vous pensez que la photographie est un sujet facile ; qu’il vous suffit de regarder une image pour la comprendre. Détrompez-vous, la lisibilité immédiate, l’intelligibilité supposée d’une photographie est trompeuse. La photographie n’a rien de transparent. » Ce qui n’est pas sans évoquer les propos du photographe de Julio Cortázar dans sa nouvelle Les Fils de la Vierge (1959), qui inspira à Michelangelo Antonioni son long-métrage Blow Up (1966) : « Je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d’erreur car c’est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes, et sans la moindre garantie… »
« Dispositions sensorielles »
Depuis plus de trente ans, Michel Frizot collecte des images hétéroclites trouvées sur des marchés aux puces, des foires ou auprès de libraires et marchands. « L’opacité de la photographie, l’opacité du regard fondamental pour sa réception » serait la raison de son émoi devant ces images anciennes ou modernes d’anonymes, d’amateurs, d’auteurs oubliés ou de professionnels (photographe ambulant ou d’agence de presse), images longtemps négligées. Les situations du regard, ses processus mettant en jeu « le photographe, le photographé et le regardeur » le retiennent. Et l’exercice du regard auquel il nous invite à la Maison européenne de la photographie (MEP), où sont révélées des pièces de sa collection, identifie les différentes « dispositions sensorielles » inhérentes à la photographie dans un cheminement aux découpages décloisonnant époques, techniques, réalités, situations et registres. Une exposition aussi réjouissante par les photographies dites « banales » ou « anodines » qu’elle présente que par les réflexions sur le médium qu’elle suscite.
À rebours d’une époque de production et de diffusion d’images à tout va, de la starification et du catalogage des auteurs, des genres et des marchés, il s’agit ici de revenir au regard en prenant le temps de contempler ce que l’on voit, projette, et aussi ce que l’on ne voit pas au premier coup d’œil dans ces photographies de petites dimensions. À bien les observer, elles regorgent de détails et d’informations. La numérisation de quelques épreuves argentiques originales invite chacun, parvenu à mi-parcours, à revoir, et « à renouer avec les propriétés de minutie et d’exactitude qui font l’attrait de la photographie depuis sa création », précise Michel Frizot.
Au-delà de la technique et de l’esthétique
En s’interrogeant sur ce qui l’a intéressé, et l’intéresse dans la collecte de ces images, « dans cette quête d’émotions, de transmission d’émotions propre à la photographie », l’historien de l’art remet à plat ce qui dans la saisie photographique, dans ses modalités, participe de l’intérêt que l’on peut porter à telle ou telle image a priori anodine, équivoque, intrigante ou au contraire terrifiante au-delà de toute qualité technique ou esthétique.
Bien ou mal cadrée, floue ou nette, cocasse ou grave, l’image, qu’elle soit portrait, paysage, scène de rue ou d’intérieur, ramène à la singularité qui lui est propre ; à la Maison de la photographie Robert-Doisneau de Gentilly (Val-de-Marne), Michel Frizot et Cédric de Veigy explorent cette part d’intériorité via la question du format. Les deux auteurs de l’ouvrage Photos trouvées, publié en 2006 par Phaidon, mettent ici en écho un jeu de vintages tiré de leur collection de photographies d’amateurs, d’anonymes ou d’auteurs oubliés avec un ensemble d’images sélectionnées pour être tirées par le laboratoire La Chambre Noire dans un format agrandi et adéquat au cadrage, au contenu… Par le jeu de l’agrandissement, l’image de l’amateur devient une autre photographie à la valeur esthétique et émotionnelle troublante, balayant là encore tous les clivages pour ne retenir que sa force pénétrante.
Commissariat : Michel Frizot
Nombre d’œuvres : 150 photos trouvées
Commissariat : Michel Frizot et Cédric de Veigy
Nombre d’œuvres : 89 vintages et 66 agrandissements
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Abonnez-vous dès 1 €Toute photographie fait énigme. Une collecte de regards, jusqu’au 25 janvier 2105, MEP, 5/7, rue de Fourcy, 75004 Paris, www.mep-fr.org, du mercredi au dimanche, 11h-20h. Catalogue, par Michel Frizot, éd. Hazan, bilingue français-anglais, 224 p., 170 ill., 39 €.
Photos trouvées. Photographies d’amateur du 20e siècle, jusqu’au 25 janvier, Maison Robert-Doisneau de la photographie, 1, rue de la Division-du-Général-Leclerc, 94250 Gentilly, www.maisondoisneau.agglo-valdebievre.fr, du mercredi au vendredi 13h30-18h30, samedi et dimanche 13h30-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : L’image (re)trouvée