Il y a un an, l’Institut néerlandais devait fermer ses portes après cinquante-six ans d’activité. Comme l’avait fait, pour d’autres raisons, l’American Center en 1996. Aujourd’hui, le Centre culturel suisse (CCS) reste donc l’une des rares institutions étrangères à faire vivre au cœur de Paris un lieu d’exposition, une salle de spectacle pouvant accueillir une centaine de spectateurs, une remarquable librairie – ouverte même le dimanche – et un journal, Le Phare, gratuit, comme l’entrée aux expositions et aux conférences.
Le CCS est financé par la Fondation Pro Helvetia, dotée cette année par la Confédération de 35,9 millions de francs suisses (environ 30 millions d’euros), dont 63 % dépensés à l’étranger (44 % en Europe) pour « soutenir la culture suisse et favoriser sa diffusion en Suisse et dans le monde ». Aujourd’hui, cette mission et la répartition de ce budget favorable « au monde » se lisent à l’aune de la votation de février dernier contre la libre circulation des personnes entre l’Union européenne et la Confédération. Ce référendum imposera un contrôle effectif de l’immigration en 2016, mais restreint déjà les échanges d’étudiants (suisses et européens) du programme Erasmus. Par peur, la Suisse voudrait donc s’isoler encore plus ?
La programmation du CCS, qui assure recevoir plus 30 000 visiteurs chaque année, dément ce que pourrait revendiquer une droite populiste – à l’origine de la votation – en ânonnant un soutien à « une culture suisse ». Le CCS a compris l’importance d’attirer dans ses murs un public pour découvrir avant tout des artistes singuliers et en écho l’incliner à s’intéresser plus généralement à la Suisse. L’exposition (jusqu’au 14 décembre) en est révélatrice. Le CCS a réinvité Miriam Cahn, qui en 1984, à l’âge de 35 ans, avait représenté la Suisse à la Biennale de Venise et qui s’impose au fil des années encore plus par sa détermination sans concession et devrait être qualifiée d’inclassable, tant dans son identité que dans le champ artistique. Au CCS, Miriam Cahn a réservé deux salles exclusives à ses peintures, l’une pour ses morts endormis, « Schlafen », une série ensorcelante de treize petits formats, l’autre pour huit grands formats, portraits d’humains effrayés par une menace ou d’un animal à trois pattes, paysages, tous dans des couleurs ardentes, presque fluo, d’une facture « spontanée », rapide, où l’on décèle sous l’huile définitive les traces d’un travail antérieur. Les autres salles documentent cette démarche ainsi que le titre de l’exposition, « Corporel ». Celui-ci ne renvoie pas à une thématique, mais à la procédure (Verfahren) de l’artiste : Miriam Cahn travaille en série, de manière intense, concentrée, rapide, physique. Dans les années 1970-1980, elle aimait les performances. À Paris, elle se sentait enfermée dans son atelier et allait dessiner sur les piliers du tunnel du pont de l’Alma. Plus tard, à Bâle, sa ville natale, elle est choquée par la construction d’une autoroute et, au fusain, à la craie – mais pas au spray – manifeste en grand format sa protestation générale : « femmes au foyer, cages d’or et d’acier », « ma féminité est ma partie publique » ; puis se réjouit surtout de la performance au grand air, dans la grande nuit et la liberté. La police y met fin, photographie ses travaux, sans imaginer qu’elle les archive scrupuleusement, et finalement la verbalise sans pouvoir comprendre son geste artistique. À 65 ans, elle a quitté Bâle pour s’isoler dans le Val Bregaglia, où elle peut travailler encore plus concentrée. Elle ne s’est pas retirée du monde pour autant et cette Suissesse s’y tient quotidiennement informée du monde extérieur, comme auparavant, des guerres en Irak, en ex-Yougoslavie… La violence du monde est toujours malheureusement le quotidien de la vie, même dans le canton des Grisons. Chez Jocelyn Wolff (jusqu’au 20 décembre), Miriam Cahn surprend encore. Point de toile, le sol de la galerie est jonché de troncs d’arbres massifs qu’elle a sciés, dont elle a ôté l’écorce, qu’elle a évidés avec un ciseau. La galerie est devenue un champ de bataille, « Schlachtfeld », où de lourdes sculptures dialoguent avec de petits écrans diffusant d’autres sculptures en terre, images de sexe ou violence. Celle, qui est qualifiée de rebelle, d’activiste, de féministe, qui ne voulait pas être professeur mais plutôt prendre le risque de vivre de son art, réussit aussi aujourd’hui à être bien représentée par deux autres galeries importantes hors de son pays, Meyer Riegger à Karlsruhe et Berlin et Elizabeth Dee, à New York. À 65 ans, un modèle Pro Helvetia, alors !
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Modèle suisse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Modèle suisse