Art ancien

Baroque

Rome la scandaleuse

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2014 - 670 mots

ROME / ITALIE

La Villa Médicis égratigne le faste de la Ville éternelle avec une exposition passionnante et érudite sur le baroque romain à travers ses excès et ses vices.

ROME (ITALIE) - En ce début de XVIIe siècle, Rome accueille par centaines artistes et intellectuels attirés par les ors de la cour papale, le lustre de l’Antique qui ressurgit au fil des jours des jardins romains, l’incroyable vivier culturel que le brassage de ces jeunes gens venus de toute l’Europe alimente sans cesse. Rome devient alors le centre du monde et se pare des accents somptueux du baroque. Apollon et ses muses inspirent les œuvres flamboyantes du Bernin.

L’autre versant, moins exploré par l’historiographie, est celui des bas-fonds, le monde des tavernes, des guets-apens sanglants, de la prostitution à peine cachée, de la misère des rues. « Nous avons voulu montrer une autre Rome, l’envers de la médaille », explique Annick Lemoine, co-commissaire de l’exposition « Les Bas-fonds du baroque, La Rome du vice et de la misère». Ce monde en marge, les artistes en sont plus que les témoins : « les peintres sont parfois partie prenante de ces milieux, patrons de tavernes pour certains » et s’asseyant même parfois sur les bancs des palais de justice. Caravage, le premier d’entre tous, est soupçonné d’assassinat après une rixe qui a mal tourné. Dans les archives documentaires de Paris, Rome et des Pays-Bas, les commissaires se sont intéressés aux Bentvueghels (les « oiseaux de la bande »), une confrérie d’artistes nordiques installée à Rome dans les années 1620 et tout au long du XVIIe siècle qui, dans une démarche collective et organisée, puise sa source d’inspiration dans l’ivresse, sous l’égide de Bacchus. S’y croisent alors Valentin de Boulogne, Nicolas Régnier, Gerrit van Honthorst. Licencieux et volontiers vulgaires, ces peintres et graveurs représentent leurs propres libations, de manière très libre : une série de trois estampes de Matthys Pool d’après des peintures faites à Rome rapporte les rites d’initiation des Bentvueghels, présentations, baptêmes et festivités, dans un simulacre de sacré forcément blasphématoire… Protégés par les plus grands mécènes, les peintres se livrent aux scènes de genre, dans une vision naturaliste qui peu à peu s’insinuera dans le grand genre.

Splendeur et déchéance
Des morceaux d’exception rythment l’exposition : un Mendiant de Jusepe de Ribera (vers 1612, Galerie Borghèse), monumental et frontal, côtoie des Joueurs de dés de Nicolas Régnier (vers 1624, Galerie des Offices) : les personnages virevoltent, s’enivrent, se désirent dans une pénombre trompeuse. La réussite du parcours réside dans l’enchaînement thématique et le corpus sélectionné avec soin. La Villa Médicis a pu avoir accès aux collections romaines, néerlandaises et françaises pour dresser un panorama des peintres séjournant à Rome, puis repartis dans leurs contrées respectives.

Dans le parcours de l’exposition, on découvre un jeune Simon Vouet burlesque et comique lors de son séjour romain. Surprenant pour ce peintre qui se fera plus tard le chantre du classicisme parisien. Dans des accents dérivés des caravagesques nordiques, il peint La Diseuse de bonne aventure (1617, Palais Barberini), construit autour des jeux de regards et de mains. Un paysan ridicule et grossier se fait dépouiller sous les yeux du spectateur, hypnotisé par la beauté et la jeunesse d’une bohémienne. Un autre tableau de Vouet étonne également : Jeune homme aux figues (vers 1615, Musée des beaux-arts de Caen). Dans cette toile, un jeune homme travesti fait le geste injurieux de far la fica, en plaçant son pouce entre deux autres doigts. Sans doute faut-il y voir l’évocation des fêtes licencieuses organisées par les élites romaines. Le cardinal Del Monte, mécène de Caravage et de Vouet, était connu pour ses réceptions accueillant des spectacles incluant des travestis.

À Rome, la pourpre cardinalice flirte volontiers avec le scandale.

Les bas-fonds du baroque

Commissariat : Annick Lemoine, chargée de mission pour l’histoire de l’art à l’Académie de France à Rome, et Francesca Cappelletti, professeur associé, Université de Ferrare
Nombre d’œuvres : Environ 50
Itinérance : Musée du Petit Palais, Paris, du 24 février au 24 mai 2015

Les bas-fonds du baroque, La Rome du vice et de la misère, jusqu’au 18 janvier 2015, Académie de France à Rome, Villa Medicis, viale Trinita dei Monti, Rome (Italie), tél. 39 06 67 611, www.villamedici.it, mardi-dimanche, 11h-19h, catalogue Ed. Officina Libraria, 294 p., 40 €.

Légende Photo :
Bartolomeo Manfredi, La réunion de buveurs, vers 1619-1620, huile sur toile, collection particulière

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Rome la scandaleuse

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