Légère dans la forme, profonde dans le fond, la Biennale de Rennes repose la question de l’organisation du travail et de la performance.
RENNES - Dans la ville qui en 2002 fut la première en France à se doter d’un Bureau des temps chargé de réfléchir au temps de travail et à son aménagement, pour les femmes en particulier, la proposition de Zoë Gray pour la 4e édition des Ateliers de Rennes – Biennale d’art contemporain touche juste. Car si cette manifestation a depuis ses débuts pour spécificité de s’intéresser aux relations entre l’art et l’entreprise ou l’économie, la commissaire britannique adopte là un point de vue singulier, en proposant de repenser l’idée de productivité bien au-delà de ce qui en est généralement le corollaire, voire la condition sine qua non : la performance.
En trois temps, pour autant de lieux la proposition – dont le titre « Play Time » évoque sans ambiguïté un Jacques Tati qui déjà à son époque réfléchissait aux développements sociaux et comportementaux liés à la vie moderne – aborde ainsi le travail bien entendu, mais également le temps du jeu et « Le droit à la paresse ».
Prenant place au Musée des Beaux-arts, cette section de la Biennale apparaît la plus intéressante en ce qu’elle aborde de front une question taboue, si ce n’est sacrilège dans le monde du travail, en accueillant notamment l’une des œuvres les plus finement pensées de la manifestation. Dans le patio du musée se dresse une maison gonflable toute en couleurs dans laquelle les enfants viennent s’amuser (Five Star Bouncy House, 2013-2014) à l’initiative de l’artiste finlandaise Pilvi Takala. Lauréate du Emdash Award doté de 7 000 livres sterling remis lors de Frieze Art Fair, l’artiste a offert aux bambins d’un centre d’animation londonien de disposer de cette somme.
Un pont entre productivité et jeu
Un film narre le processus ayant abouti à leur décision de faire quelque chose de collectif, soit une structure de loisir qui toutefois rapporte au centre puisque les enfants, véritables entrepreneurs en herbe, la louent à la Biennale ou à quiconque souhaite en disposer. Plus loin dans les salles, on s’amuse face au mur de vidéos absurdes du japonais Koki Tanaka dans lesquelles sont détournés des objets usuels (Everything is Everything, 2006), ou de l’impertinence de Nicolas Chardon qui en référence à Malevitch a posé des carrés noirs sur des fonds colorés qui ne sont rien d’autre que des aimants sur des plaques de métal, tels des tableaux de bord de bureau (Magnétiques, 2004).
Ici le temps de la paresse n’apparaît donc pas perdu mais devient espace de réflexion, de créativité, de pensée. Une transition se fait jour avec l’installation vidéo de Marianne Flotron présentée au Frac Bretagne, où se déroule « L’art en tant que jeu, l’art en tant que pensée », qui aborde plus directement les questions relatives au travail et à la productivité. Dans son installation vidéo Work (2011), l’artiste ausculte comment l’introduction de méthodes théâtrales a bouleversé le quotidien et la relation au travail des employés d’une entreprise néerlandaise, en leur offrant liberté et flexibilité. Repenser les modes de productivité, c’est bien la question centrale posée par cette biennale. Ce que semble résumer un film de Hans Schabus qui a aménagé un train électrique filant en hauteur autour de son atelier et sur lequel une caméra embarquée ne donne rien à voir de concret quant à l’activité qui s’y déroule, mais semble au contraire plonger dans la fiction (Passagier, 2000).
Il n’y a de là qu’un pas vers « L’aire de jeu » installée à la Halle de la Courrouze, où l’accrochage apparaît un peu moins tenu que dans les autres lieux, sans doute car la vaste installation d’étals de marché tous identiques de Michaël Beutler (The Market, 2014), dont certains accueillent des sculptures de Dewar & Gicquel ou de Bruno Peinado et ses filles quand les autres sont vides, se montre finalement anecdotique car trop flottante et en même temps terriblement ennuyeuse dans sa régularité de façade. Le visiteur n’y boude néanmoins pas son plaisir face à l’irrésistible proposition de François Curlet qui a invité une vingtaine de comparses – Ann Veronica Janssens, Franck Scurti, Michael Dans… – à confectionner des mini-golfs tous plus loufoques et irréalistes les uns que les autres, affirmant non sans finesse qu’avec le jeu aussi, on se doit de prendre des libertés face à l’organisation normée.
Commissaire : Zoë Gray
Nombre de lieux : 3
Nombre d’artistes : 50
Nombre d’œuvres : 70
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Le travail mis en jeu
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Le travail mis en jeu