Paroles d’artiste

Nira Pereg : « Je cherche à questionner et créer une conscience »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2014 - 746 mots

Nira Pereg est à l'affiche
du Musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris avec ses vidéos sur le tombeau des Patriarches.

Au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris, l’artiste israélienne Nira Pereg propose avec deux courtes vidéos qui se font face une plongée dans la singularité du tombeau des Patriarches, à Hébron (Palestine). Juifs et musulmans se le partagent, mais certains jours de l’année, à tour de rôle, les uns doivent pendant 24 heures en laisser l’usage exclusif aux autres.

D’où vient cet intérêt pour ce moment très spécifique d’échange entre juifs et musulmans ? Est-ce une transition ou cela signifie-t-il qu’une forme de cohabitation est possible ?

L’occupation israélienne à Hébron est importante, l’armée est partout et il y a aussi une forte présence des colons. C’était donc pour moi une situation unique et extrême, et le tombeau des Patriarches représente quelque chose de très saint pour les juifs. Le monument en lui-même fait presque l’objet d’un marketing, mais jamais dans une perspective israélienne ; toutes les représentations le sont du point de vue musulman du tombeau. Il y a bien sûr cette question du traumatisme suite au massacre de vingt-neuf Palestiniens qui y fut perpétré par un extrémiste juif en 1994. Car jusque-là, l’endroit était ouvert aux deux. Aujourd’hui, impossible d’y songer car la situation va de mal en pis et c’est presque utopique d’imaginer que Juifs et Palestiniens puissent cohabiter dans un lieu. Je suis donc évidemment venue avec cela en tête, et partout où je me rends c’est avec une volonté d’immersion, tout en essayant d’oublier ce que j’ai entendu afin d’avoir ma propre vision des choses. Je ne pouvais pas entrer du côté mosquée, mais seulement du côté synagogue ; et j’ai été très surprise car tout avait un effet plastique, bon marché et comme temporaire. J’ai été attirée par ce décor et quand j’en ai demandé la raison on m’a répondu : « car nous devons pouvoir évacuer en deux heures » et que cela se passe plusieurs fois dans l’année, mais ce n’est pas quelque chose de très connu en Israël. L’image d’un nettoyage de tous les artefacts qui représentent une religion et l’idée de les emporter m’a fascinée car je n’avais jamais vu cela.

Une autre de vos vidéos, Shabbat (2008), traite des structures religieuses de la société israélienne. Vous intéressez-vous aux liens entre sacré et profane ?
Je m’intéresse beaucoup à la manière dont le territoire est défini par la pensée. Et par pensée vous pouvez dire par un artiste, par la religion, par un point de vue nationaliste… mais quelque chose définit un territoire. Nous avons un territoire entre nous et je me demande toujours qu’est-ce qui l’a créé ? Qu’est-ce qui a décidé que c’est le nôtre ou bien le leur ?

Vous mentionnez le territoire, or ce que nous voyons de l’extérieur est un Moyen-Orient dominé par des questions religieuses et territoriales. Dans la manière dont sont installés vos deux films, face-à-face et non côte à côte par exemple, s’agissait-il de renforcer l’idée de frontière entre les deux ?
Absolument ! Et quand le public voit l’installation certains peuvent être heurtés car cela peut leur paraître utopique, dans le sens ou cela pourrait passer pour une sorte d’arrangement. Mais il ne s’agit pas d’un arrangement entre les gens, c’est une décision du gouvernement d’Israël et de l’armée qui, même dans le tombeau, est omniprésente. Il n’y a donc pas d’arrangement réel dans le sens où une séparation existe. Aucun des deux côtés ne veut s’effacer. Quand les musulmans doivent quitter les lieux pour 24 heures se pose cette question de comment protéger leurs affaires ; vous le voyez clairement dans le film. C’est la même chose pour les juifs qui, dans cet endroit, sont des extrémistes. Il y a donc une sorte de similarité visible, mais ce n’est pas du tout une existence utopique. Je voulais renforcer cet aspect, car cela souligne aussi la question de qui est qui ; ce qui par moments n’est pas du tout évident, puisque les gestes ou la manière d’occuper l’espace sont très similaires. Je souhaitais insister sur le sentiment du spectateur qui doit faire un choix, car il ne peut pas regarder les deux en même temps. Je ne les montrerai jamais côte à côte car ce n’est pas vrai que vous vivez côte à côte. Mais mon travail cherche comment questionner et créer une conscience plutôt que de dire ce qui est bon ou pas.

Nira Pereg. Abraham Abraham Sarah Sarah

Jusqu’au 25 janvier, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 53 01 86 53, www.mahj.org, tlj sauf samedi 11h-18h, dimanche 10h-18h, mercredi 11h-21h, catalogue éd. Fondation Promahj, 64 p., 13 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Nira Pereg : « Je cherche à questionner et créer une conscience »

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