« L’Autre de l’art » propose une relecture de l’histoire de l’art du XXe siècle à travers ceux qui sont dans les marges.
VILLENEUVE D’ASCQ - Nostalgie d’un paradis perdu ? Insatisfaction à l’égard d’une civilisation occidentale empêtrée dans le cartésianisme et le scientisme ? Nombreux sont les artistes avant-gardistes comme Gauguin, Modigliani et Picasso – les figures de proue du primitivisme – qui se sont inspirés de l’art tribal jugé plus instinctif et sincère que l’art occidental. C’est à une autre altérité que s’intéresse le LaM (Lille Métropole, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut). À celle qu’incarne l’enfant, l’enfant en nous, mais aussi les autodidactes et autres créateurs des marges qui s’expriment dans les hôpitaux, les prisons et la rue. « Le propos est de montrer comment des productions réalisées en dehors des contextes habituels de création vont infiltrer et finir par bouleverser les pratiques artistiques en acquérant le statut d’œuvres », explique Savine Faupin, commissaire de l’exposition et conservatrice en chef en charge de l’art brut au LaM.
« L’Autre de l’art » ou comment lire l’art de notre temps à travers le prisme des « valeurs sauvages » chères à Dubuffet ? L’exposition, forte de 400 œuvres, a été bâtie à partir des trois domaines de collection du musée – art moderne, art contemporain et art brut – et d’approches transdisciplinaires : art, ethnologie, littérature et cinéma.
Le projet, organisé en cinq séquences (l’anonyme, la rue, l’enfant, le geste, l’origine), est sans doute trop ambitieux. D’où une certaine insatisfaction, l’impression d’effleurer trop de questions, certes passionnantes, mais difficiles à embrasser dans le cadre d’une seule exposition.
Le parcours s’ouvre sur les productions issues du milieu asilaire. Une étonnante gravure de William Hogarth intitulée Dans la maison du fou (1733-1735) montre un homme au visage grimaçant occupé à tracer d’étranges dessins sur un mur. « C’est la première fois dans l’histoire de l’art qu’un fou est représenté en train de dessiner », poursuit la commissaire. Il faudra attendre 1838, date du vote de la loi sur les aliénés, pour que des médecins commencent à proposer à leurs patients un traitement psychique de la maladie par des pratiques artistiques notamment. Des collections se constituent alors dans des hôpitaux à l’initiative de médecins comme le docteur William A. F. Browne en Ecosse (Crichton institution) et Maxime Dubuisson (1851-1928) qui rassembla des œuvres de « ses amis les fous » dans les asiles de Braqueville à Toulouse et de Saint-Alban en Lozère.
Vestiges des émotions premières
La deuxième séquence évoque l’art des rues et son cortège de graffitis, slogans et bannières. Elle souligne la troublante proximité entre les graffitis photographiés par Brassaï sur les murs de Paris et l’art des hommes préhistoriques. Proximité également entre l’étrange bestiaire en ombre chinoise de Carlo Zinelli et les créations de nos lointains ancêtres. « Ne s’est-il pas efforcé de transmettre les images sédimentées dans le fond de sa mémoire, déposées comme les vestiges des cultures anciennes dans les couches archéologiques comme les alluvions au fond du lit d’une rivière ? » s’interroge Michel Menu, chef du département recherche au palais du Louvre, dans le catalogue de l’exposition. Le visiteur est titillé. Pourquoi alors repousser la poursuite de l’étude de cette énigme de l’origine à la dernière section de l’exposition ?
La troisième étape du parcours, plus attendue, montre à quel point les artistes du XXe siècle, de Klee à Dubuffet en passant par Miró et le mouvement CoBRa, se sont inspirés de l’expression graphique des enfants. Picasso disait qu’il lui avait fallu « toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux. »
« La poésie est faite par tous et par tout », observent Camille Bryen et Alain Gheerbrant dans leur Anthologie de la poésie naturelle. Elle se retrouve chez les autodidactes, dans les rues, sur les pierres, comme dans le geste volontaire ou involontaire, thème de la quatrième séquence de l’exposition. On y découvre des créations de Louis Soutter, Mary Barnes et Madge Gill interrogés à l’aune du concept de la Gestaltung chère à Paul Klee. Ou comment une forme en train de se créer, sans projet ni intentionnalité, peut-elle être appréhendée comme un outil de mesure d’une réalité intérieure ? Pierre Restany disait des dessins de Camille Bryen qu’ils étaient « les comptes rendus ultrasensibles d’un sismographe enregistreur des émotions premières ».
Commissariat : Savine Faupin, conservatrice en chef en charge de l’art brut au LaM, assistée de Lucie Garçon, chargée de mission
Nombre d’œuvres : 400 environ
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Une autre altérité
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 11 janvier 2015, LaM, 1, allée du musée, 59650 Villeneuve d’Ascq, tél : 03 20 19 68 88, www.musee-lam.fr, mardi-dimanche, 10h-18h, catalogue éditions du LaM, 256 pages, 35 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Une autre altérité