À Sète, le plasticien, ancien documentariste, présente 23 œuvres dont plusieurs dénoncent les malheurs du monde d’hier et d’aujourd’hui.
SÈTE - C’est à un mystérieux et poétique voyage que convie Melik Ohanian (né en 1969) au Centre régional d’art contemporain de Sète, où est présentée une vingtaine de pièces dont la plupart ont été produites pour l’occasion. « Melik Ohanian, c’est un Ulysse des temps modernes », confie Ami Barak, commissaire de l’exposition. Arpentant les confins du monde et les marges de l’histoire, cet artiste a fait du nomadisme le cœur de sa pratique. Cet art de la dérive, tant spatio-temporelle que conceptuelle, culmine dès l’entrée de l’exposition avec un lent travelling dans les ruelles d’un camp de travailleurs émigrés aux Émirats arabes unis. Censuré par les organisateurs de la Biennale de Sharjah, Days. I See what I Saw and what I will See a été tourné en 2011 suivant un protocole très strict consistant à filmer ce camp durant onze jours à l’aide d’un chariot posé sur des rails de 100 mètres réinstallés chaque jour. À la radicalité du procédé répond celle de la situation de ces hommes devenus « esclaves d’un monde dont ils ne produisent pas l’idée », explique l’artiste qui parvient ici à donner forme à l’enfer d’un présent indéfiniment reconduit.
Le parcours de l’exposition se poursuit en ménageant de subtiles mises en résonance. S’entrechoquent des mondes parallèles où alternativement le temps se fige, se suspend, se répète, jusqu’à brouiller nos capacités perceptives. D’énormes sculptures de béton en forme de cauris, ces coquillages qui servirent de monnaies d’échange et tiennent lieu d’outils divinatoires en Afrique, jonchent le sol. Une cartographie de stations météorologiques émet d’étranges signaux lumineux. Un globe terrestre prend des airs de boule de cristal. Les photographies du jardin botanique de Palerme palpitent d’une vie qui paraît mimer un processus de flash-back ou de flashs prémonitoires. Et soudain, la mémoire du génocide arménien ressurgit. Sans pathos, l’artiste se fait alchimiste de la douleur d’un peuple, de ses ancêtres. Que ce soit en sauvant du pilon les invendus d’un livre qui raconte l’histoire d’un survivant ou en sculptant 3 451 larmes de béton qui matérialisent le nombre de kilomètres séparant Erevan (Arménie) de l’atelier de l’artiste à Paris. Et puis, il y a cette histoire des « Canary Girls ». Ces femmes qui remplissaient les obus de nitroglycérine pendant la Première Guerre mondiale et qui réapparaissent sous forme de sculptures (Girls of Chilwell. Suspended Acting, 2014) à la blancheur sidérante et fantomatique.
« Qui sommes-nous ? Comment habiter un monde chaotique et hypermédiatisé où l’économie règne en maître ? », semble chuchoter l’artiste qui a moulé en une seule pièce d’aluminium un porte-voix et son socle. Faut-il parler ou se taire ? Ou les deux comme le suggère le titre de l’exposition « Stuttering » (bégaiement en français). Le Datcha project, initié en 2005 et ici présenté, offre assurément une poche de résistance. Cette zone de non-production installée tout près d’Erevan et régulièrement partagée par quelques invités introduit une suspension du temps, une respiration collective pour repenser le monde.
Commissariat : Ami Barak et Noëlle Tissier
Nombre d’œuvres : 23
Jusqu’au 21 septembre, Centre régional d’art Contemporain, 26 quai Aspirant Herber 34200 Sète, mercredi-lundi 12h30-19h et samedi-dimanche 15h-20h, crac.languedocroussillon.fr
Consulter la fiche biographique de Melik Ohanian
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Melik Ohanian, sculpteur du temps
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Abonnez-vous dès 1 €Melik Ohanian, Girls of Chilwell – Suspended Acting, 2014, 3 sculptures en plâtre et technique mixte à l'échelle 1. Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris. © Photo : Marc Domage.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Melik Ohanian, sculpteur du temps