Bénéficiant du prêt exceptionnel de « L’Origine du monde », le Musée Courbet à Ornans livre une étude éclairée du regard porté sur le sexe féminin dans l’art.
Obtenir le prêt de L’Origine du monde de Gustave Courbet quelques semaines durant, dans le cadre d’un partenariat avec le Musée d’Orsay, était déjà une victoire en soi. Encore fallait-il la célébrer dignement… Le Musée Courbet à Ornans (Doubs) a bénéficié de moins de deux ans pour élaborer un propos scientifique, dont l’idée s’est imposée au fil des discussions entre commissaires. Un parcours centré sur la représentation du sexe féminin dans l’art est né de la contrainte (libératrice) découlant de l’impossibilité d’obtenir certains prêts fondamentaux. Ne sont en effet pas visibles les deux tableaux détenus en mains privées qui ont successivement dissimulé, dans un cadre à double fond, le chef-d’œuvre sulfureux de Gustave Courbet, et Le Sommeil, œuvre concomitante à L’Origine dont le Petit Palais souhaite enfin faire profiter ses visiteurs après des années de représentation à l’étranger.
« Cet obscur objet de désirs » s’ouvre donc sur le tableau de Gustave Courbet et son histoire pour mieux aborder des contrées souvent délaissées par les historiens de l’art. Les divers talents des commissaires concourent au sérieux d’un parcours d’exposition certes licencieux mais qui ne sombre jamais dans la vulgarité ou la grivoiserie – Isolde Pludermacher, conservatrice au Musée d’Orsay dont les connaissances en ethnologie transparaissent dans cette étude ; Antoinette Le Normand-Romain, directrice de l’Institut national de l’histoire de l’art et ancienne directrice du Musée Rodin, à Paris ; et Thierry Savatier, éminent spécialiste du tableau de Courbet. En ce sens, l’exposition du Musée d’Ornans serait le pendant réussi de « Masculin/Masculin », présentée au Musée d’Orsay à l’automne dernier, dissertation hors sujet et paresseuse sur le nu masculin dans l’histoire de l’art occidental.
Corps libérés
Le bref récapitulatif retraçant toute l’histoire connue du tableau de Courbet – de son achat par le diplomate turc Khalil-Bey à sa dation à Orsay par les héritiers de la veuve de Jacques Lacan, en passant par sa saisie en Hongrie par l’Armée rouge – réserve une surprise : la découverte d’une copie du tableau qu’aurait réalisée René Magritte pendant la Première Guerre mondiale, aujourd’hui conservée en mains privées. La « une » du journal satirique Le Hanneton, dans lequel Courbet est croqué le pinceau à la main devant ses œuvres, dont l’une d’elles figure une feuille de vigne, laisse à penser que L’Origine du monde était connue des milieux artistiques. Le parcours plonge ensuite dans le vif du sujet, alignant les images où les secrets du corps féminin constituent une proie de choix pour les voyeurs (ainsi Jupiter et Antiope [1851] par Ingres).
Le dernier tiers du XIXe siècle fait l’économie de la mythologie et de la présence masculine pour se concentrer sur ces corps libérés qui ne se savent pourtant pas observés, ainsi les nus chez Degas ou chez Bonnard. Courbet et après lui Rodin et son Iris messagère des dieux transforment l’objet en sujet. La femme n’est plus regardée, elle se montre. Les deux artistes se passent de la représentation de la tête et des membres, superflus, et vont à l’essentiel. Le corps devient ainsi universel.
D’une délicieuse Figurine de divinité féminine Baubô de l’époque romaine à la Feuille de vigne femelle de Marcel Duchamp, le parcours multiplie les choix judicieux, d’une grande variété formelle, et ne s’embarrasse pas de chronologie. Les pistes de réflexion ne manquent pas et l’on passe ici avec légèreté de l’œil érotique à la description anatomique, comme à la vision poétique : une fleur, un coquillage ou encore les grottes de Loue incessamment représentées par Courbet y sont souvent des odes subtiles à la féminité. Parmi les œuvres contemporaines exécutées depuis l’arrivée du tableau en 1995 dans les collections d’Orsay, soulignons l’hommage d’une sensualité hors pair de Vik Muniz dans la série Pictures of soil (1999).
Exposition exigeante
Si l’exposition ne fait pas mention du portrait qui avait fait la « une » de Paris-Match il y a un an, ce fameux visage de femme dont L’Origine aurait été séparée, le catalogue se charge de décrire les résultats de la récente analyse scientifique du tableau d’Orsay par le Centre de recherche et de restauration des musées de France. Cette étude établit de manière définitive que L’Origine du monde n’est pas un morceau découpé dans une plus large composition – la bordure de la toile recouverte d’enduit atteste que Courbet n’a pas peint au-delà du cadre imposé par le châssis du tableau. Il faut enfin saluer le courage du Musée d’Ornans, qui programme une exposition si exigeante en haute saison, au risque de se priver d’une grande partie de ses visiteurs – les enfants âgés de moins de 16 ans doivent être accompagnés. Une plaquette pédagogique est à la disposition du jeune public, comme pour dire : dédramatisons et admirons.
Commissaires scientifiques : Isolde Pludermacher, conservatrice au Musée d’Orsay ; Antoinette Le Normand-Romain, directrice générale de l’Institut national d’histoire de l’art ; Thierry Savatier, historien de l’art
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Dans l’œil du désir
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 1er septembre, Musée Courbet, 1, place Robert-Fernier, 25290 Ornans, tél. 03 81 86 22 88, www.musee-courbet.fr, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, coéd. Musée Courbet/éditions Liénart, 176 p., 25 €.
Légende photo
Gustave Courbet, L’Origine du monde, 1866, huile sur toile, 46,3 x 55,4 cm, Musée d’Orsay, Paris. © Photo : RMN (musée d'Orsay)/Hervé Lewandowski.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Dans l’œil du désir