En analysant les images sulfureuses des paparazzi, le Centre Pompidou-Metz déroule un récit percutant sur leur esthétique et sur la réappropriation de ses codes par les artistes.
METZ - D’emblée, Clément Chéroux le précise de manière à ce qu’il n’y ait aucun malentendu : « Paparazzi ! Photographes, stars et artistes », qu’il signe avec Quentin Bajac et Sam Stourdzé, « n’est pas une exposition qui rebondit sur l’actualité ; elle ne prend pas davantage le parti des paparazzi ni des stars ni se veut une apologie de la profession. Il s’agit de s’interroger sur une pratique de plus d’un siècle et d’aborder le phénomène dans toute sa complexité, dans tous ses enjeux. » Et le chef du cabinet de la photographie du Centre Pompidou d’ajouter : « quand Laurent le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz, nous a demandé si un tel sujet nous intéressait, nous l’avons évidemment accepté en chœur car il était temps de rassembler, d’analyser les différents enjeux de ce phénomène dans une société contemporaine où les questions de célébrité, de vols d’images, d’intimité, d’espace public/d’espace privé se posent au quotidien. »
Jamais une analyse d’une telle ampleur n’a été effectivement menée jusqu’à présent sur la production d’images de cette profession et ses influences sur la création artistique de ces cinquante dernières années. Ni « Pigozzi and The Paparazzi : Salomon, Weegee, Galella, Angeli, Quinn, Angeli, Secchiaroli, Pigozzi and Newton » à la Fondation Helmut Newton (Berlin, 2008), ni « Exposed » plus récemment à la Tate Modern n’ont mené une telle réflexion. Développée ici en trois parties distinctes, elle s’appuie sur la thèse selon laquelle, des contraintes (attente, planque), outils (téléobjectif, flash), situations et attitudes, est née une esthétique paparazzi, source d’inspiration pour les cinéastes et artistes. Cinéastes au premier rang duquel figure Federico Fellini, réalisateur de La Dolce Vita (1960), berceau du terme « paparazzo » et premier long-métrage à mettre en avant ce personnage menaçant, oppressant.
Confrontation de points de vue
Devant ou derrière l’objectif du chasseur d’image ne se joue pas la même scène. Regarder ces instants pris sur le vif de paparazzi en action renvoie d’abord à une figure exclusivement masculine, intrusive jusqu’à l’affrontement. Entre clichés de paparazzi en attente ou en pleine confrontation avec leur proie (principalement des femmes) et œuvres d’artistes sur la représentation de ce voleur d’intimité (de Frank Perrin, Malachi Farrell, Jessica Dimmock et Christophe Beauregard notamment), cette figure cristallise fictions et projections. Ponctué d’extraits de Paparazzi de Jacques Rozier (1963) et Reporters (1981) de Depardon, de témoignages de grands noms de la profession, le propos démultiplie à un rythme soutenu ses différentes facettes et visages que la partie cinéma, avec La Dolce Vita à laquelle est consacrée une section distincte, traite d’une manière tout aussi prégnante.
L’autre point de vue, celui de la victime filée, chassée et pourchassée ouvre à d’autres gestes, d’autres détails qui feront la une des tabloïds, omniprésents dans cette deuxième partie du parcours.
Décapante section où, à travers des personnalités particulièrement poursuivies (de Liz Taylor à Britney Spears), est décortiquée « l’esthétique involontaire » qu’ont fait naître les conditions, situations et cadres récurrents de ces prises de vue ; comme celui de la voiture particulièrement dominant dans l’iconographie paparazzi. Réactions de fuite, de refus ou de colère ; baisers, mains ou regards complices : les gestes dérobés, à l’insu ou non de la célébrité, ou provoqués (main levée par exemple pour cacher un visage) forment une esthétique indissociable de la surpuissance captatrice de l’image volée sur celui qui la regarde.
La troisième et dernière partie du parcours est consacrée aux appropriations de cette iconographie par les artistes. Le récit entame alors l’autre temps fort de son développement. De Gerhard Richter, Richard Hamilton, Valerio Adami, Ulf Lundin à Avedon, William Klein, Alison Jackson ou Kathrin Günter : la fiction s’adosse à ces systèmes de représentation convoquant selon leurs auteurs l’angoissant, le tragique, le grinçant, le glamour, l’inquiétant ou l’humour. Redoutable mise en miroir du pouvoir des images !
Commissaire :
Clément Chéroux, conservateur au Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, chef de cabinet de la photographie
Quentin Bajac, conservateur en chef de la photographie au Museum of Modern Art (New York)
Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Élysée (Lausanne)
Nombre d’œuvres : 600 œuvres (photographies, peintures, vidéos, sculptures et installations….)
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Paparazzi, une esthétique décodée
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 9 juin 2014, Centre Pompidou-Metz,
1 parvis des Droits de l’homme, 57020 Metz
www.centrepompidou-metz.fr
lundi, mercredi, jeudi, vendredi 11h-18h, samedi 10h-20h, dimanche 10h-18h
Catalogue de l’exposition sous la direction de Clément Chéroux, coédition Centre Pompidou-Metz/Flammarion, 320 pages, 45 €
Légende photo
Daniel Angeli, Elizabeth Taylor à Gstaad, 24 décembre 1979, c-print, 20 x 30 cm, collection Cécile Angeli. © Daniel Angeli.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Paparazzi, une esthétique décodée