Le rendez-vous annuel du Fresnoy accueille une cinquantaine d’œuvres inédites imaginées par de jeunes artistes et professeurs invités pour une exposition unique.
TOURCOING - Sous le titre de Panorama, pour sa quatorzième édition, le rendez-vous annuel du Fresnoy se veut un classique national, ne se contentant pas de se présenter comme l’accrochage de fin d’année des artistes étudiants, mais avec la participation d’artistes-professeurs-invités et sous l’égide d’un commissaire, il se donne l’ambition de l’exposition. L’esprit du lieu n’en gouverne pas moins les productions du côté des arts de l’image, du cinéma, mais de l’usage des technologies, des dispositifs interactifs, connectés, ou encore du sonore. Avec plus de cinquante participants dont vingt-six installations, le parcours est ouvert à des propositions très diverses que le commissariat de Benjamin Weil, critique et commissaire reconnu pour ses activités au sein d’institutions américaines comme européennes en matière de nouveaux médias, réunit autour de l’idée d’« élasticité de la réalité »; et conséquemment d’élasticité du propos comme des formes des œuvres.
La notion est assez large pour ne guère enfermer les propositions de manière thématique, et laisser la singularité des écritures et des langages s’imposer avant tout, et c’est bien ainsi. Dans la nef du Fresnoy, les dispositifs se donnent de manière plus ou moins directe, selon qu’ils supposent des modes d’emplois et des rhétoriques qui mettent parfois à l’épreuve le spectateur, en particulier ceux qui engagent sa participation. Ainsi de Think Tank , de Félix Ramon, qui met le visiteur dans une cellule technique en face d’un ordinateur avec qui le dialogue tourne bientôt au défi, alimentant une perception déceptive et paradoxale au savoir de la machine. D’autres sont plus démonstratifs, comme le Striptyque de Netty Radvanyi : trois stations proposées au spectateur (assis, debout, couché) renvoient à l’engagement physique du visiteur dans des actions portées par la référence à la peinture de Bacon. L’enjeu se tient entre la violence symbolique appliquée au corps dans les tableaux et les dispositifs technico-pratiques (écrans vidéo, lit, poignée à saisir) qui proposent une expérience directe, sans doute trop directe. Mais l’univers de l’artiste demeure riche, d’autant que la présence d’un cheval écorché renvoie à ses autres pratiques, du côté du cirque qu’elle pratique comme écuyère.
Plus loin, un cube noir ouvert s’offre au visiteur qui se trouve pris dans une restitution de son image par une caméra thermique : ce spectre coloré est le départ d’un dispositif assez fascinant, puisque les données ainsi captées sont vers le corps de l’artiste, équipé d’un implant RFID (identification par radio fréquence) et d’un réseau d’une dizaine de sensors qui lui retransmettent les données thermiques des visiteurs, où qu’elle soit puisque tout cela est connecté. La figure du spectre, en écho entre autres à Derrida, l’échange intime, le truchement saisissant des technologies qui s’effacent devant la nature directe des perceptions, la force d’imaginaire démultipliée par la mise à disposition en ligne tant des expériences que des références (www.cellulairement.net) portent cette rêverie construite et son dispositif symbolique, l’hantologie selon le mot de l’artiste, Dorothée Smith, à toucher à l’ambition affichée de « poésie spéculative ».
Interaction
Popularisé sous la forme du jeu domestique, l’usage de la Kinect (1) comme dispositif de reconnaissance du mouvement et de l’image trouve de nombreuses applications auprès des artistes, permettant une interaction immédiate et sensible du spectateur-acteur. La « présence » immédiate est ainsi reprise par la machine dans des propositions aussi différentes que celle d’Arthur Zerktouni avec In Memoriam, qui inscrit à nouveau une forme fantomatique, blanche et lumineuse, silhouette du visiteur ou des visiteurs sur un rideau d’eau. L’identité insaisissable s’efface dans le mouvement infini de la pluie. L’artiste canadien David Rokeby, professeur invité et très remarquable pionnier des recherches en matière d’installations interactives, donne une pièce tout juste mise au point d’une absolue simplicité de présentation : rien qu’une projection vidéo en douche que le spectateur révèle de son corps, de ses mains par exemple, où s’inscrit une image littéralement tridimensionnelle. Car dans Hand-held, l’image (en fait quelque quatre-vingts images en strates horizontales) décrit des gestes simples (un œuf qui tombe d’une paire de mains, par exemple) que le spectateur-écran révèle dans sa continuité spatiale.
Autant de fantômes permis par l’usage de la Kinect et des systèmes de restitution d’images dont, quand tout va bien, la complexité s’efface instantanément. C’est le même principe de capture de mouvement qui commande une autre proposition des plus attachantes, cette fois non pas seulement sonore mais réellement musicale : celle de Zahra Poonawala avec Tutti. Issue de son expérience d’instrumentiste, elle présente un orchestre de haut-parleurs, qui restituent six instruments exécutant une composition de Gaëtan Gromer. Entrant dans cet espace d’écoute, le spectateur fait apparaître comme par effet de gros plan tels ou tels instruments, cordes, cuivres, autant de voix musicales le mettant au cœur de l’orchestration, comme l’instrumentiste en situation de concert. Ici encore, l’économie pratique du système pour le visiteur s’associe à une réelle (et rare) qualité musicale pour atteindre pleinement son but et plus encore, révélant des potentiels de pensées plastiques très engageantes. Davantage que par les propositions filmiques, c’est ce qui se joue ici, au travers des propositions des artistes invités comme Ryoichi Kurokawa ou Edwin Van der Heide, d’étudiants comme Véronique Beland ou Joachim Olenderet qui fait que la visite au Fresnoy demeure sans équivalent.
Jusqu’au 22 juillet, Le Fresnoy, studio national des arts contemporains, 22 rue du Fresnoy 59202 Tourcoing, mardi-dimanche 14h-19 h sauf vendredi-samedi 21h, Tel. 03 20 28 38 00, www.panorama14.net
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Panorama 14
- Nombre d’œuvres : 50 environ
- Commissaires : Benjamin Weil
- Scénographe : Jacky Lautem
David Rokeby Hand-held (2012) - Installation - Production Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Panorama 14